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Les Grands Interprètes – Entretien avec Thierry d’Argoubet

by Bruno del Puerto

Plus de vingt ans après sa dernière venue, le Wiener Philharmoniker est de retour à la Halle aux Grains le 18 mars à l’invitation de la saison des Grands Interprètes. Un double événement, puisque le prestigieux orchestre viennois va être dirigé à cette occasion par Tugan Sokhiev. Une rencontre au sommet que le public toulousain doit à Thierry d’Argoubet, ex-délégué général de l’Orchestre national du Capitole, désormais conseiller artistique des Grands Interprètes. Entretien avec un passionné qui fourmille de projets.

Wiener Philharmoniker © Lois Lammerhuber

Que devient Tugan Sokhiev et quelles sont ses activités aujourd’hui ?

Depuis qu’il a démissionné de ses fonctions de directeur musical à l’ONCT et au Bolchoï le 2 mars 2022, Tugan Sokhiev dirige régulièrement les meilleures formations internationales en tant que chef invité et est très sollicité par ces grands orchestres. Il est rentré il y a peu du Japon après trois semaines de collaboration avec l’orchestre symphonique de la NHK. Cette nouvelle façon d’exercer son art lui plaît beaucoup, elle lui permet de se consacrer essentiellement à la musique.

L’année dernière, de nombreux changements sont intervenus dans sa vie. Il a acquis, en traversant cette période de bouleversements, une autre maturité musicale et humaine. J’ai eu la chance d’assister à quelques-uns de ses concerts, à la tête de l’Orchestre de la Staatskapelle de Dresde, du Philharmonique de Munich ou du Wiener Philharmoniker. Je peux ainsi témoigner que l’homme a changé. Il le dit lui-même dans certaines de ses interviews, dont une récente dans La Dépêche du Midi, sa vision du monde a évolué, de même que son approche de la musique.

Nous avons pu le constater en novembre dernier à la Halle aux Grains, lors du concert où il a dirigé l’ONCT dans la 8e Symphonie de Bruckner. Aujourd’hui, il a de nombreux projets musicaux, des rêves liés à la transmission, voire à la création d’un orchestre. Je suis très heureux d’avoir encore la chance de pouvoir l’accompagner sur ce chemin et que notre relation humaine et musicale soit toujours vivante.

Tugan Sokhiev © Marco Borggreve

Le concert du 18 mars à la Halle aux Grains avec le Wiener Philharmoniker n’est pas le premier de Tugan Sokhiev à la tête de cet ensemble. De quand date sa collaboration avec cette formation parmi les plus renommées au monde ?

Elle a commencé en 2009 et est donc déjà ancienne. Cette collaboration entre dans une nouvelle phase. Les musiciens souhaitent en effet renforcer le lien musical qui les unit à Tugan. Il dirigera donc dorénavant à Vienne de manière plus régulière et à l’automne prochain, il accompagnera le WPO lors de sa grande tournée en Asie.

Depuis combien de temps le WPO n’était pas venu à Toulouse dans la saison des Grands Interprètes ?

Le Wiener Philharmoniker est venu trois fois à Toulouse à l’invitation des Grands Interprètes. La première fois, c’était le 2 mai 1992. Zubin Mehta avait dirigé la 7e Symphonie de Bruckner. Premier choc musical ! Le 3 février 1995, c’est Bernard Haitink qui tenait la baguette pour la 8e Symphonie du même Bruckner. Et le 18 mars 2000, Seiji Ozawa dirigeait la 4e symphonie de Brahms. Chacun de ces concerts donna lieu à des instants de bonheur intense, comme seule la musique à son plus haut degré d’expression peut en offrir.

En avril dernier, j’ai eu le privilège d’assister au retour de Tugan à la direction du Wiener et j’avais toujours ce rêve un peu fou d’inviter de nouveau cette formation mythique à Toulouse. Les musiciens ont accepté de modifier sensiblement leur planning afin que l’organisation de ce concert soit possible. À l’image du Berliner Philharmoniker, ce sont les musiciens qui gèrent de façon totalement autonome leur saison. Ils président eux-mêmes aux destinées de cet ensemble d’exception.

Je ne sais pas si c’est le plus bel orchestre du monde mais ce dont je suis sûr, c’est que c’est celui qui a la personnalité la plus singulière, avec une identité sonore immédiatement reconnaissable. Le son du Wiener Philharmoniker donne le frisson au sens propre et peut faire vivre des émotions musicales hors du commun. Dirigés par un grand chef, les musiciens du WPO forment un ensemble unique sur la scène classique internationale. Pour toutes ces raisons, son retour à Toulouse le 18 mars, avec à sa tête le formidable chef qui a dirigé pendant 17 ans l’ONCT, est un moment très fort.

Quel est le programme de ce concert ?

Un programme qu’apprécie particulièrement Tugan Sokhiev, avec Shéhérazade, la suite symphonique, op. 35 de Rimski-Korsakov, et la Symphonie n°4 de Tchaïkovski, deux des chevaux de bataille de l’ONCT et de Tugan Sokiev lors des tournées de l’Orchestre national du Capitole quand il en était le directeur musical.

Il est significatif qu’il revienne à la Halle aux Grains pour y diriger ce répertoire qu’il adore, avec l’orchestre qu’il apprécie le plus aujourd’hui. Et à titre personnel, c’est une grande joie de les réunir pour le public et les mélomanes toulousains. Je tiens donc à remercier les musiciens du Wiener Philharmoniker de nous avoir permis de réaliser ce rêve, et Tugan Sokhiev d’avoir témoigné une nouvelle fois de l’attachement qu’il porte à Toulouse.

Et Thierry d’Argoubet, que devient-il depuis qu’il pris sa retraite de délégué général de l’ONCT ?

J’ai quitté mes fonctions à l’orchestre il y a une année tout juste, après avoir proposé aux musiciens toulousains la saison 2022/2023. On y découvrait un jeune chef finlandais, qui avait encore 21 ans à l’époque, un certain Tarmo Peltokoski, invité à diriger l’ONCT à la Halle aux Grains le 21 octobre dernier.

En discutant du programme de ce concert avec Tarmo, il m’avait fait part de son souhait de diriger la 5e symphonie de Chostakovitch. Je lui avais répondu que ce n’était pas possible, que c’était une des œuvres fétiches de Tugan Sokhiev avec l’ONCT et qu’il n’échapperait pas au jeu des comparaisons que je jugeais périlleux pour lui. Pendant une demi-heure, il a tout fait pour me convaincre en montrant une maturité musicale et intellectuelle incroyable devant laquelle je n’ai pu que m’incliner.

Thierry d’Argoubet © Pierre Beteille

Il a donc dirigé la 5e de Chostakovitch le 21 octobre lors d’un concert mémorable, salué par une énorme ovation du public, et sublimé par l’entente magique des musiciens de l’orchestre avec celui qui sera leur directeur musical à partir de septembre 2024. Je suis très heureux d’avoir été à l’origine de cette rencontre, magistralement concrétisée par Jean-Baptiste Fra, le nouveau délégué général de l’Orchestre national du Capitole, et Claire Roserot de Melin, directrice générale de l’Établissement Public du Capitole. Ils ont su convaincre ce talent exceptionnel de s’attacher à l’ONCT pour cinq ans, ouvrant ainsi une nouvelle page de son histoire.

En ce qui me concerne, je suis désormais conseiller artistique des Grands Interprètes et je prépare activement les saisons à venir. Je reste toujours très lié à Tugan et nous nous voyons souvent. Comme je l’ai indiqué, nous nourrissons des projets, des rêves ensemble autour de nouveaux orchestres, autour de la transmission, avec des structures dont nous sommes proches. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant si ce n’est que nous y travaillons. L’aventure continue et c’est un grand bonheur de poursuivre ma relation avec cet immense chef d’orchestre.

Entretien réalisé par Éric Duprix

Les Grands Interprètes
samedi 18 mars 2023
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