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La Poursuite de l’idéal de Patrice Jean

by Anthony del Puerto

Alors qu’il vient de publier en ce début d’année Kafka au candy-shop (éditions Léo Scheer), essai bien senti contre la littérature engagée, on peut se replonger dans les romans de Patrice Jean, l’une des révélations romanesques françaises de ces dernières années.

Par exemple avec La Poursuite de l’idéal, paru en 2021, l’une de ses plus belles réussites avec L’Homme surnuméraire. Les aspirations du jeune Cyrille Bertrand – devenir poète, être un esthète, marcher sur les pas de Valery Larbaud – suffisent à en faire un être décalé et inadapté aux temps présents. D’autant plus lorsque l’on vit à Dourdan dans une famille de Français moyens. Les rêves laissent alors place à une réalité plus banale : un emploi au service contentieux de Salons&Cuisines. Comment échappe-t-on au déterminisme social, à la fatalité d’une existence programmée ? Grâce, par exemple, à un ami de lycée, Ambroise d’Héricourt, issu d’une famille de la grande bourgeoisie, qui ouvrira à Cyrille de nouvelles perspectives.

Patrice Jean

Il ne faut pas dévoiler les péripéties jalonnant la vie de notre héros durant la quinzaine d’années que La Poursuite de l’idéal retrace avec le souffle des grands romans d’apprentissage. Disons seulement que l’on passera des allées d’un Carrefour Market parisien à Naples, d’un emploi de professeur remplaçant à celui de scénariste d’une série télévisée au succès mondial, de la compagnie de jeunes cathos réacs à la poursuite de femmes inaccessibles.

Tenir le coup

L’ambition, l’idéal, les rapports de classe, les compromissions, les occasions manquées, l’amour, l’amitié : le sixième roman de Patrice Jean brasse ces motifs avec autant d’énergie que de finesse. L’auteur de Tour d’ivoire ne dépaysera pas ses lecteurs qui retrouveront ici des charges contre la religion du progrès et ses avatars. Société amnésique, déculturée, façonnée par la consommation et les images falsifiées tandis que l’écrit devient aussi évanescent que la parole : le constat n’est pas nouveau, mais il vise en plein centre. Y compris quand il pourfend la colonisation culturelle via la propagation d’un sabir anglo-saxon : « L’université s’y met, et l’on baptise la Toulouse School of Economics. Personne n’y voit du ridicule ! »

Ecrivain antimoderne que l’on peut classer dans la famille des Houellebecq, Duteurtre et Taillandier Patrice Jean n’est cependant pas dupe des malentendus possibles : « Existe-t-il encore des lecteurs qui aiment les livres en dehors de leurs inclinations politiques ou religieuses ? » La haine de l’époque, aussi argumentée soit-elle, ne fait pas un roman. Derrière la comédie de mœurs et la satire, le pas de côté poétique et le goût de l’aphorisme, le sens de l’ellipse et l’art de la digression, la mélancolie et le rire, La Poursuite de l’idéal assigne au romancier, via Cyrille, une ambition à la fois modeste et essentielle : « faire un signe à ceux qui, à travers les jours, lui ressembleront, pour les aider, même d’une façon infime, à tenir le coup dans un monde damné et insignifiant ».

Christian Authier

Un livre pour le week-end


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La Poursuite de l’idéal – Gallimard

Littérature

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