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Vincent, François, Paul… et les autres de Claude Sautet

by Anthony del Puerto

Si réussites et films passionnants ont ponctué la carrière de Claude Sautet du début à la fin, ce sont ses œuvres de la fin des années 1960 et du début des années 1970 (Max et les ferrailleurs, Les Choses de la vie, César et Rosalie) qui incarnent la quintessence de son style et de son univers.

Film choral (comme son titre l’indique), Vincent, François, Paul… et les autres dresse le portrait de trois amis, quinquagénaires en détresse. Le premier nommé (Yves Montand) doit enfin faire face au divorce deux ans après le départ de sa femme tandis que l’entreprise qu’il dirige connaît de graves difficultés. Le deuxième (Michel Piccoli), opulent médecin bientôt à la tête d’une clinique, voit sa femme s’éloigner de lui et collectionner les aventures quand le troisième (Serge Reggiani) est un écrivain en panne d’inspiration. Autour de ce trio s’agrègent donc « les autres », dont Jean (jeune employé de Vincent hésitant à devenir boxeur professionnel), leurs épouses ou compagnes, leurs copains…

Vincent, François, Paul

Remarquablement construit et rythmé, le scénario de Jean-Loup Dabadie, Claude Sautet et Claude Néron d’après un roman de ce dernier (La Grande Marrade), enchaîne des tranches de vie tour à tour drôles, graves, légères ou mélancoliques. Il y a des éclats de rires, des disputes (la célèbre scène du « gigot à la con »), des sanglots retenus, des gestes maladroits, des week-ends à la campagne, le souvenir des jours heureux. Un sentiment de naturel se dégage des images. Une énergie folle circule entre les plans.

Monde d’avant

A travers ces trois hommes en crise, Vincent, François, Paul… et les autres cerne aussi une crise collective. Le premier choc pétrolier a sonné le glas des Trente Glorieuses. On ne le sait pas encore, mais le film – sorti en 1974 – montre pourtant cette mutation, la fin d’une époque. Des décennies plus tard, il impressionne d’ailleurs par sa prescience et son ampleur sociologique. Désindustrialisation, gentrification des villes, naissance d’une France que l’on ne baptisait pas encore « périphérique », émancipation des femmes, reniement d’une certaine gauche sur l’autel de l’argent : tout cela est dit ou montré. La tirade cinglante de Paul sur la nécessité des classes populaires ou moyennes à « s’adapter » à la modernité mérite le détour : « S’adapter, ça signifie quoi ? Ça signifie vivre avec son temps, savoir bouger avec la société, comme François. Naturellement, une seule devise : pour changer de vie, changer la vie. Ah autrefois, c’était autre chose. Il ne fallait pas rire avec le progrès social. Sinon, il se fâchait. »

Claude Sautet a immortalisé un pays et des façons de vivre qui ont disparu. Le principe de précaution n’existait pas. On fumait tout le temps et partout (en se levant, en téléphonant, en mangeant, en bricolant…), on buvait sec, la ceinture de sécurité (obligatoire seulement depuis l’été 1973) était une option. Dans les cafés ou les brasseries, on mangeait et on trinquait sans se soucier du « Nutri-score ». Vivre – et donc mourir – ne faisait pas peur. Sans ses comédiens, Vincent, François, Paul… et les autres n’aurait pas cet élan, cette épaisseur, cette humanité bouleversante. Yves Montand, Michel Piccoli et Serge Reggiani campent un trio exceptionnel, tout en reliefs et nuances. Le jeune Gérard Depardieu impose son énergie. Stéphane Audran et Marie Dubois sont sidérantes de justesse. On n’oublie pas les seconds rôles (Umberto Orsini, Ludmila Mikaël, Catherine Allégret…), tous remarquables, ni la musique somptueuse de Philippe Sarde. Un film qu’il faut avoir vu et revu…

Christian Authier

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