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La Maison d’Alain Leygonie

by Anthony del Puerto

Alors que l’écrivain toulousain vient de publier un Petit éloge amoureux du canal du Midi aux éditions Privat, on peut également le retrouver avec le récit La Maison, sorti voici une dizaine d’années chez le même éditeur. « Je croyais être tout ce que j’ai vécu, mes rencontres, mes amours, mes voyages, les animaux que j’ai fréquentés, les lieux où j’ai vécu, les métiers que j’ai faits, les livres que j’ai lus et ceux que j’ai écrits, je croyais être devenu un citoyen du monde et me voici brusquement devenu une maison », écrit Alain Leygonie en ouverture de ce livre consacré à une maison de famille située à Cavagnac dans le Lot. Elle a été vendue à un couple d’Anglais, mais trois siècles d’histoire familiale y sont encore consignés dans les murs, les jardins et dans les mémoires des héritiers.

Alain Leygonie
Alain Leygonie

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme qui s’attache à notre âme et la force d’aimer ? », demandait le poète. La réponse ne laisse pas de place au doute. Par exemple, quand il faut vider un grenier : « il y a des lettres, parfois très anciennes, enfermées dans des boîtes en carton ou en métal ou bien attachées par une ficelle, rangées au fond de buffets branlants, dont la lecture vous serre le cœur ».

Le ciel dans la fenêtre

Il y a dans l’art et la manière d’Alain Leygonie quelque chose de Jacques Chardonne ou de Jean-Claude Pirotte, le don de transfigurer un motif ténu par l’écriture, le goût de la digression qui nous ramène au sujet, une précision d’entomologiste accordée aux détails, une façon de célébrer la vie tout en sachant qu’elle finit mal, la certitude que les paysages dessinent nos sentiments : « Se méfier des beaux après-midis d’automne. Certains après-midis d’automne, un rien peut vous précipiter dans un abîme de mélancolie : le dernier tour d’honneur d’un papillon sur la pelouse jaunie, l’odeur âcre d’un feu de broussailles, sa fumée bleue au loin qui se tord au-dessus d’un labour, le soleil si bas sur l’horizon à cette heure, et voici qu’on se met à redouter la solitude. »

Cet hommage à une demeure meublée de souvenirs contient des chapitres poignants comme celui relatant la disparition du frère cadet ou de « l’âme sœur » : « Je lui parle, je me confie à elle, je la prends à témoin de tout. On pourrait croire que j’ai perdu la tête, que je parle tout seul mais c’est faux, je parle bel et bien à quelqu’un qui existe, que l’amour a ressuscité. » Alain Leygonie a compris que vivre consistait à « flotter sur un océan de morts ». Des morts souvent plus vivants que bien des vivants : « Morts, mais pas vraiment disparus, secrètement vivants : tous ceux à qui nous devons la vie et dont d’une certaine façon nous assurons la survivance. La vie éternelle dont parlent les religions, c’est ça : quelque chose comme un passage de témoin, la vie à cloche-pied d’être en être, de génération en génération. »

Le texte coule, mélodieux, nous chuchote de précieux secrets : « Nous ne devons notre salut qu’aux signes affectueux que nous envoie notre port d’attache, tout en bas : un souffle d’air sous le marronnier, un rameau agité par la brise, des pastilles de soleil qui tremblent sur un mur, le chant d’un merle au petit matin, l’odeur des buis, l’odeur des roses, l’écho prolongé de la cloche, le grondement du portail de fer… Ces petits riens nous ramènent sur terre, ils font le lien entre la vie et la mort. Ils disent tout le prix d’une “pauvre maison“ qui, dans une époque rugissante, dévoreuse de singulier, nous est un monde et encore davantage. »

Christian Authier

Un livre pour le week-end


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