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Orchestre national du Capitole – Marzena Diakun (direction)

by Bruno del Puerto

Sous la direction de Marzena Diakun, l’Orchestre national du Capitole de Toulouse interprète la Cinquième Symphonie de Beethoven à la Halle aux Grains, dans le cadre du cycle de concerts commentés par le pianiste Jean-François Zygel.

Marzena Diakun © Marco Borggreve

Pour sa deuxième incursion au cœur de cette saison de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse, le pianiste Jean-François Zygel décryptera la Cinquième Symphonie de Beethoven, partition étonnante qui sera dirigée à la Halle aux Grains par la Polonaise Marzena Diakun (photo). Créée le 22 décembre 1808 à Vienne, sous la direction du compositeur, cette page dite «Symphonie du Destin» figure parmi les œuvres les plus célèbres et les plus jouées de Ludwig van Beethoven. La Cinquième Symphonie est contemporaine de la Sixième: écrites pratiquement en même temps, ces deux jumelles, bien que d’un caractère totalement différent, sont toutes les deux jouées lors de ce célèbre concert de décembre 1808, au Theater An der Wien, dont le programme très copieux comprenait, en plus des symphonies, le Quatrième concerto pour piano, la « Fantaisie chorale », ou encore des extraits de la Messe en ut du même compositeur. Les deux symphonies paraissent chez Breitkopf et Härtel en 1809, et sont dédicacées conjointement au prince Lobkowitz et au comte Razumovsky.

Esquissée brièvement en 1803, puis de nouveau travaillée en 1805, cette symphonie en ut mineur resta inachevée pendant deux ans. L’ébauche comportait pourtant déjà le premier mouvement dont la puissance implacable donnera le ton au reste de la symphonie. Beethoven s’y attela avec beaucoup d’assiduité, échafaudant pourtant ce mouvement avec une grande économie de moyens. Cette partition s’inscrit dans le sillage de la Troisième Symphonie, « Héroïque », et se veut elle aussi révolutionnaire, fougueuse, dans son écriture, sa compréhension, mais aussi sa destination. Bien avant de mettre en chantier cette page symphonique, Beethoven nourrissait en effet l’espoir de s’installer à Paris et d’obtenir un poste important de la part du consul Bonaparte. Par l’emploi d’un matériau musical concis et déterminé, il souhaitait alors susciter l’admiration de cette France issue de la Révolution.

Mais bien que son projet de s’installer en France ne se réalisa pas, il persista dans son idée et concentra son énergie à la démonstration musicale qu’il s’était fixée: révéler le potentiel créateur d’une simple formule rythmique. C’est ainsi que les fameux «coups du destin», ces trois notes brèves suivies d’une note longue, vont irriguer l’ensemble de la symphonie. Ces quatre premières notes, déterminant toutes les autres, sont pour Beethoven la traduction musicale de la pensée du poète allemand Friedrich von Schiller et expriment la victoire de l’homme sur la souffrance et sur la mort.

À l’automne 1806, alors qu’il se rend en Silésie, Beethoven rencontre le comte von Oppersdorff qui entretient un orchestre privé dans le château où il réside. Le compositeur assiste alors à la représentation de sa Deuxième Symphonie et promet au comte, en gage de sa reconnaissance, de lui dédier sa prochaine œuvre. Le projet de la Cinquième est alors réactivé au cours du printemps suivant. Pourtant, malgré les versements constants du comte von Oppersdorff, Beethoven interrompt régulièrement son travail sur l’œuvre, et intercale même la composition entière de la Quatrième Symphonie avant d’achever celle qui deviendra donc la Cinquième ! L’état du manuscrit témoigne d’ailleurs de l’ampleur de la tâche et de la très grande inspiration du musicien qui peine à fixer définitivement des éléments sans cesse remodelés.

Pour l’interprétation de cette page, l’orchestre réunit des cordes, un piccolo et deux flûtes, deux hautbois, deux clarinettes, deux bassons et un contrebasson, deux cors, deux trompettes, trois trombones et deux timbales. Faisant alterner un épisode vif, puis lent, puis à nouveau vif, puis très vif, la symphonie se déploie en quatre mouvements. L’«Allegro con brio» initial est d’une forme-sonate traditionnelle, basée sur le célèbre motif de quatre notes – motif d’ailleurs déjà utilisé par Beethoven auparavant. L’ouverture foudroyante révèle le génie du compositeur: «So pocht das Schicksal an die Pforte» (Ainsi le destin frappe à la porte), aurait rapporté Beethoven à Schindler. Ce mouvement d’une grande intensité et d’une énergie débordante précède l’«Andante con moto», où s’installe la douceur de la tonalité de la bémol majeur offrant un moment de réflexion après l’agitation. Dans cette variation libre à deux thèmes, Beethoven accorde une place prépondérante à la famille des bois.

Jean-François Zygel

Le Scherzo, noté «Allegro», débute par une page mystérieuse, angoissante dans des nuances pianissimo, qui s’oppose à une seconde partie fortissimo basée sur le même motif rythmique de quatre notes entendu dans le premier mouvement, que Beethoven déconstruit ici de manière audacieuse. Un roulement de timbales crescendo conduit au Finale, un «Allegro» enchaîné sans interruption dans un fabuleux remous orchestral. Cette transition stupéfiante vers un finale musclé en mode majeur, crée ainsi une nouvelle possibilité symphonique: des mouvements multiples prouvent désormais être subsumés dans la puissance d’une trajectoire unique. Tel un miroir de l’élan dramatique du départ en ut mineur, Beethoven conclut sa symphonie par une Marche triomphale tonitruante en ut majeur. Renforçant son orchestre habituel de manière significative, le compositeur annonce à propos de l’aboutissement de sa symphonie: «Le dernier mouvement comporte trois trombones et un piccolo, non pas trois timbales certes (seulement deux) mais cela fera plus de bruit que s’il y en avait six et qui plus est, du meilleur bruit».

La Cinquième symphonie a un impact formidable sur toute la génération succédant à Beethoven. Dans ses « Mémoires », Hector Berlioz raconte comment son maître Jean-François Lesueur, pourtant hermétique à la musique de Beethoven, fut bouleversé, même épuisé par l’émotion que lui a procuré la Symphonie. Il dira plus tard au jeune Berlioz: «C’est égal, il ne faut pas faire de la musique comme celle-là» ; ce à quoi l’élève répondit: «Soyez tranquille, cher maître, on n’en fera pas beaucoup».

Même Goethe, alors réticent à la musique de Beethoven, fut saisi d’émotion par cette page que le tout jeune Felix Mendelssohn lui joua dans une transcription au piano. Lors de la Seconde Guerre mondiale, le début de la Cinquième était le symbole de la résistance française: la BBC débutait ses messages radios avec les quatre notes frappées par les timbales comme indicatif de ses émissions à l’intention des pays européens sous l’occupation nazie ; trois brèves, une longue, significatif de la lettre V en morse: le V de la victoire, le V de la Cinquième Symphonie.

Jérôme Gac
pour le mensuel Intramuros


Orchestre national du Capitole
samedi 18 décembre 2021 à 18h00
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