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La Schola Cantorum • Entretien avec Jean Persil

by Bruno del Puerto

Nouvelle venue depuis trois ans dans le paysage musical de la Ville rose, la Schola Cantorum est en concert les 8 et 9 mars à la basilique Saint-Sernin, son port d’attache, où elle donne le Requiem de Duruflé. Le jeune ensemble vocal toulousain aborde un autre grand classique du répertoire sacré français après le Requiem de Fauré, enregistré sur un CD paru en janvier 2024. Rencontre avec Jean Persil, fondateur et directeur artistique de la Schola Cantorum.

Jean Persil
Jean Persil

Vous êtes aujourd’hui directeur artistique de la Schola Cantorum, association que vous avez contribué à créer en 2020 et dont vous avez été le premier président. Quels ont été votre parcours personnel et votre formation musicale avant de vous lancer dans ce projet ?

Je suis un musicien 100 % toulousain, pur produit de la formation musicale de la ville où je suis né il y a trente ans. Ma formation s’est faite pour l’essentiel au Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse, en classe de piano tout d’abord où j’ai suivi les cours de Daniel Beau et Irène Blondel dès l’âge de six ans. J’y ai reçu également une formation de solfège et d’analyse musicale et suis sorti du conservatoire diplômé en piano, solfège et musique de chambre.

Je me suis lancé ensuite dans des études de droit avant de revenir plus tard à la musique avec le regretté Jean-Claude Guidarini, organiste titulaire de Notre-Dame du Taur. C’est grâce à son enseignement que je suis devenu organiste liturgique, activité que je pratiquais déjà en autodidacte depuis quelques années en accompagnant la messe de ma paroisse à Blagnac. J’ai pu apprendre avec lui les improvisations au grand orgue, tout comme j’ai pu découvrir en même temps la direction de chœur aux côtés de Rolandas Muleika.

Quelle idée a présidé à la création de la Schola Cantorum et qui sont les personnes à l’origine du projet ?

L’idée est née d’un constat très simple. À Saint-Sernin, où je me rendais souvent à la messe du soir pour écouter l’orgue extraordinaire fabriqué par Aristide Cavaillé-Coll, je trouvais que le répertoire et la musique chorale étaient plutôt pauvres en regard de la beauté et de la majesté de l’édifice. Jean-Claude Guidarini était l’un des organistes de la basilique, sous l’égide du titulaire de l’instrument, Michel Bouvard. Après en avoir discuté ensemble, nous nous sommes dit qu’il fallait absolument que Saint-Sernin se dote d’un répertoire liturgique de qualité et d’un chœur capable de le mettre en place et de le chanter. C’est donc Jean-Claude et moi-même qui avons été à l’initiative de ce projet, en 2020.

La Schola Cantorum
La Schola Cantorum

Et vous fondez aussi l’association Schola Cantorum dès 2020 ?

C’est en 2020 en effet que la Schola Cantorum voit le jour, sous la forme d’un regroupement de choristes qui avaient envie de participer à l’aventure. Elle devient une association loi de 1901 en 2021 et puis peu à peu, nos effectifs se sont étoffés et nous avons pu ouvrir d’autres chœurs. La Schola Cantorum est aujourd’hui une association d’intérêt général et en trois ans à peine, le projet s’est considérablement développé.

Pourquoi avez-vous choisi le nom de Schola Cantorum, qui renvoie entre autres à celui d’une école de musique illustre à Paris ? Parce qu’il dit tout de ce vous voulez faire avec cette association ?

Cela dit un peu tout, c’est vrai. Nous nous référons à l’histoire de la musique liturgique européenne. La Schola Cantorum de Paris est la plus célèbre de toutes les écoles qui portent ce nom mais l’on peut citer celle de Bâle et toutes celles qui ont essaimé en Europe depuis le Moyen Âge. C’était une volonté du pape au départ, pour former les chanteurs et diffuser le catéchisme par le chant. La traduction littérale est « école de chant » et notre objectif est bien de former nos chanteurs, d’abord d’un point de vue choral avec de nombreuses répétitions. Ils ont aussi un professeur de technique vocale, Alfredo Poesina, lui-même chanteur dans le chœur de l’Opéra national du Capitole, et ils suivent des cours de solfège. Nous allons encore élargir cette offre afin que nos choristes bénéficient d’une formation complète et de qualité.

Quelle est la vocation de l’association ?

Elle est multiple, en fait. La première, celle qui donne sa spécificité à la Schola Cantorum, c’est d’être un chœur liturgique. Il y en a d’autres en France, mais notre proposition est diverse puisque nous avons désormais quatre formations vocales : une maîtrise, un chœur grégorien, un chœur d’hommes et le grand chœur que j’ai l’honneur de diriger. Notre objectif premier est donc d’animer les messes et les offices à la basilique Saint-Sernin, notamment les messes solennelles qui sont radiodiffusées, les messes du soir et quelques messes du matin. Cette partie constitue notre principal cœur de métier. C’est la raison pour laquelle je distingue musique sacrée et musique liturgique, la seconde faisant l’objet d’un travail sur un répertoire typique destiné à s’inscrire dans la liturgie.

Ensuite, il y a une vocation beaucoup plus culturelle et en lien avec tous nos partenariats extérieurs, en particulier avec la ville de Toulouse puisque nous sommes en résidence à la Chapelle des Carmélites où nous donnons une saison de concerts. Dans cette autre partie de notre activité, nous essayons d’ouvrir au maximum le répertoire pour les Toulousains et les gens de passage. Nos répétitions sont accessibles au public aux Carmélites et à Saint-Sernin où nous présentons aussi une saison artistique dont la programmation est consultable sur le site internet de la Schola Cantorum. L’objectif consiste cette fois-ci à proposer un large répertoire, tel qu’on l’entend souvent dans les salles de concerts, mais en lui apportant un son différent grâce à l’orgue et à l’acoustique de la basilique. Il s’agit pour nous de recontextualiser la musique sacrée dans les lieux où elle a été pensée et composée. Enfin, le troisième volet du projet, déjà évoqué précédemment, c’est la formation de jeunes chanteurs pour en faire les choristes de demain.

Schola Cantorum

Le rayonnement de la Schola Cantorum est-il essentiellement toulousain ou à l’échelle de la région Occitanie ?

Il est déjà complètement régional, notre ambition étant de faire revivre dans toute l’Occitanie ce répertoire liturgique un peu oublié. C’est le cas du grégorien, que nous avons chanté dans le cadre d’événements autour de la Saint Thomas d’Aquin. Nous avons retrouvé des partitions, dédiées à Saint Thomas d’Aquin et aux festivités le concernant, qui n’avaient pas été chantées depuis plusieurs siècles. D’autre part, le fait d’avoir plusieurs chœurs nous permet de nous déplacer assez facilement dans la région et au-delà.

Notre maîtrise participe à différents congrès un peu partout en France et même à des congrès internationaux. Nos autres chœurs peuvent également voyager, et cette année le chœur d’hommes va se produire sur les bords de la Méditerranée et jusqu’à Barcelone, à la Sagrada Familia. Le grand chœur a déjà donné des concerts en Angleterre l’été dernier et il est invité prochainement à Dresde, Berlin, Leipzig et Rome. Nous avons donc la capacité de nous projeter ailleurs qu’à Saint-Sernin, pour rayonner sur tout le territoire français et en Europe.

Le répertoire de la Schola Cantorum a-t-il une spécificité qui lui est propre ?

Non, il est difficile de parler de véritable « cœur de répertoire » pour la Schola Cantorum puisque nous disposons de plusieurs ensembles ayant chacun leur spécificité. Le chœur grégorien ne fait que du grégorien, ce qui recouvre quand même plusieurs siècles de musique. Il est dirigé par Clarisse Chantelot, professeur au Conservatoire de Toulouse et spécialiste de ce répertoire. La maîtrise d’enfants, placée sous la direction de Cécile Capomaccio et qui fait l’objet d’un partenariat avec l’école Saint Joseph de Toulouse, compte à ce jour 70 petits chanteurs et aborde un répertoire plus global.

Le chœur d’hommes est dirigé par Mathieu Duboc et propose un répertoire à voix égales, là encore très spécifique. C’est une de nos fiertés et une des raretés apportées par la Schola que de chanter à la messe avec un chœur d’hommes. Ce n’est pas courant non plus en concert et ça plaît beaucoup au public. Quant au grand chœur, le répertoire est plus « classique » si l’on peut dire puisque nous balayons toutes les périodes, du grégorien au baroque en passant par la musique du XIXe siècle et la musique contemporaine que j’apprécie tout particulièrement.

Schola Cantorum

Comment est structurée l’équipe de la Schola Cantorum, aujourd’hui ?

L’équipe a dû se construire autour d’un bureau et d’un pôle administratif, comme toute association loi de 1901. Au départ, nous étions un simple chœur paroissial et il a fallu se structurer en organisation ayant pour objectif de former des choristes. Nous avons donc constitué un bureau dont j’ai voulu qu’il soit présidé par un musicien. L’actuel président est Emmanuel Pélaprat, un des organistes de Saint-Sernin, musicologue, professeur à l’université de Bordeaux-Montaigne, spécialiste de la musique du XIXe siècle, grand spécialiste français et européen de l’harmonium d’art. Il compose également de la très belle musique pour la Schola et incarne notre volonté d’avoir une administration conçue par et pour les artistes. Aux côtés des membres du bureau de l’association, il y a les quatre chefs, regroupés dans un pôle artistique, qui essaient de donner à l’ensemble de nos choeurs une cohérence autour de la musique sacrée.

Il n’y a donc pas que la formation de choristes au centre du projet Schola Cantorum, il y a aussi un aspect création, soutien à la création musicale contemporaine ?

Je n’en avais pas encore parlé mais cet aspect est en effet fondamental. Monseigneur Guy de Kerimel, archevêque de Toulouse, a donné à la Schola Cantorum une lettre de mission dans laquelle il nous demande de soutenir et promouvoir la création musicale liturgique. Pour cela, nous avons la chance d’être entourés de grands artistes. J’ai déjà cité Emmanuel Pélaprat mais il faut ajouter les organistes Michel Bouvard et Matthieu de Miguel, sans oublier Jean-Baptiste Dupont, organiste titulaire de la cathédrale de Bordeaux. Cette équipe artistique de haut niveau est au service de notre projet qui part, je le répète, du constat que la musique liturgique est le parent pauvre de notre époque, que sa qualité est en baisse.

Notre objectif est donc simple mais pas simpliste : créer et faire de la belle musique liturgique, bien écrite et bien chantée. Pour la composer, en plus d’Emmanuel Pélaprat, nous avons intégré à notre projet d’autres artistes régionaux comme le Lotois Christopher Gibert, basé aujourd’hui à Montauban où il enseigne au conservatoire départemental. Il nous aide et compose pour nous. D’autres compositeurs, dont nous reprenons les pièces les plus réussies, peuvent aussi ponctuellement nous rejoindre.

Schola Cantorum 3

Comment recrutez-vous pour vos quatre chœurs ?

Pour un chœur liturgique, il faut reconnaître qu’il peut y avoir des a priori défavorables. Certes, de nombreuses personnes aiment la musique liturgique mais elles ont parfois du mal à s’imaginer en train de la chanter à l’église pendant la messe. Heureusement, le bouche-à-oreille fonctionne plutôt bien et notre répertoire reste malgré tout assez demandé et recherché. Il y a aussi le fait que chanter à Saint-Sernin revêt encore un certain prestige, qui plus est en étant accompagné par de grands organistes comme ceux que j’ai cités. Le son unique de la basilique joue également en notre faveur et attire les choristes. Modeste chœur paroissial à la base, nous avons pu accueillir petit à petit des élèves du conservatoire, puis des étudiants en musique et musicologie de l’université Toulouse 2 Jean-Jaurès et d’autres de l’Institut Catholique.

Il n’y a aucune barrière à l’entrée dans notre recrutement, sauf l’obligation de chanter juste, d’être autonome dans le travail et d’accepter de se former. Parmi nos choristes, nous avons de grands professionnels mais aussi des gens qui ne savent même pas lire une partition. Le but du jeu est d’en faire un ensemble cohérent, homogène et autonome, pour pouvoir mener avec eux de beaux projets artistiques conformes à notre ambition. Cela va peut-être sans dire, mais je précise tout de même qu’on entre dans nos chœurs sur audition. Celle-ci se passe bien en général, les personnes intéressées étant conscientes de l’endroit où elles mettent les pieds et du degré d’exigence qui est le nôtre.

Autre élément important, la discographie présente et à venir de la Schola Cantorum sachant qu’il y a déjà un CD paru au début de l’année.

Notre CD Requiem de Fauré est paru en janvier. Nous avons fait le choix de l’interpréter et de l’enregistrer avec la prononciation gallicane, celle qui avait cours à Paris jusqu’en 1920, l’année où Gabriel Fauré a quitté ses fonctions de directeur du conservatoire. Elle résulte de la volonté de Louis XIV de contrer le pouvoir papal et de montrer qu’en France, on faisait ce que l’on voulait, y compris s’agissant de la prononciation du latin. Nous avons souhaité témoigner de ce qu’étaient le son et l’esprit du Requiem lors de sa création en 1888 à l’église de la Madeleine, où Fauré était titulaire de l’orgue, en reprenant la prononciation « à la française ».

Il nous importait de rendre hommage à ce compositeur de génie à l’occasion du centenaire de sa mort, en enregistrant son lumineux Requiem et cette autre merveille qu’est le Cantique de Jean Racine, les deux chefs d’œuvre fauréens dans le domaine de la musique sacrée. Nous les avons choisis bien sûr parce que l’un et l’autre sont très beaux et très connus, mais aussi parce que ces deux pièces en disent beaucoup sur la vie de Fauré. Le Requiem est une œuvre de la maturité alors que le Cantique de Jean Racine a été composé quand il avait 19 ans et dédié à César Franck, son maître de prime jeunesse. Des compositions de Franck sont d’ailleurs incluses dans notre CD, dont son Dextera Domini, l’offertoire du jour de Pâques, une pièce remarquable. Enfin, on trouve sur ce disque une création mondiale jouée à l’orgue par Emmanuel Pélaprat, l’Andante et prière, une partition retrouvée récemment, écrite pour harmonium à la base et transposée pour grand orgue sur notre enregistrement.

Sous quel label avez-vous fait paraître ce disque ?

Sous notre propre label… C’est une autre volonté de notre part, celle d’être nous-mêmes vecteur de création en enregistrant et en éditant nos partitions. Nous voulons diffuser par nos propres moyens le répertoire que nous jugeons digne de la basilique.

Prochaine échéance pour la Schola Cantorum, les concerts des 8 et 9 mars à Saint-Sernin. Une seule œuvre au programme, un autre requiem très célèbre…

Eh oui, le Requiem de Maurice Duruflé, autre chef d’œuvre du genre et autre gros morceau pour nous. Il est aussi extraordinaire à mes yeux que celui de Fauré et nous allons le chanter avec la prononciation latine, cette fois-ci. Il faut savoir que Duruflé était assez réticent vis-à-vis du nouveau répertoire post-Vatican II. C’était un fanatique du grégorien dont il s’est beaucoup inspiré pour ses compositions, y compris pour son Requiem. Ce concert va être enregistré et si le résultat nous convient, il fera l’objet d’un CD. Notre objectif est double : rendre témoignage de la messe grégorienne du Requiem et montrer comment Duruflé l’a harmonisée.

Les 8 et 9 mars, le public entendra dans un premier temps le chœur grégorien, qui va chanter tous les thèmes grégoriens pour que les gens puissent se les mettre en tête, et nous déroulerons ensuite le Requiem… mais pas tout à fait comme il a été composé. Duruflé était un éternel insatisfait et il est souvent revenu sur ses œuvres. Il a détruit une grande partie d’entre elles, sa femme ayant eu la bonne idée de sauver le Requiem.

C’est ainsi qu’il y a eu quelques petits « erratum » par rapport à la version originelle, en particulier le solo de baryton dont Duruflé préférait au départ qu’il soit chanté par tout le chœur d’hommes, avec de petits passages par des chœurs d’enfants. La maîtrise va donc également se mêler à notre concert, entre autres lors du fameux et magnifique In paradisum qui s’ouvre vers le ciel par des voix d’enfants. C’est aussi le choix que nous avions fait pour celui de Fauré.

Schola Maitrise

Y a-t-il d’autres concerts programmés en 2024 ?

Oui, le samedi 20 avril nous donnons le Via Crucis de Liszt à la Chapelle des Carmélites, accompagné par Emmanuel Pélaprat sur son harmonium d’art. Cet instrument n’a pas grand-chose à voir avec l’harmonium que l’on entend à la messe dans les églises. Il a un son formidable, immédiatement reconnaissable, et qui remplit une cathédrale à lui tout seul alors qu’il se présente pourtant sous la forme d’un petit meuble.

Franz Liszt a été touché par la grâce sur le tard et est devenu quasi mystique, comme le montrent certaines de ses œuvres de la fin. C’est frappant pour son Via Crucis, une pièce pensée pour une formation un peu intimiste que nous avons voulu recréer. Le 20 avril, il n’y aura donc pas tout le grand ensemble de la Schola Cantorum mais un chœur de chambre, plus ramassé, accompagné par l’harmonium d’art d’Emmanuel dans l’acoustique si particulière de la Chapelle des Carmélites dont le plafond est en bois.

Nous avons un autre double-concert les 14 et 15 juin à la basilique Saint-Sernin, placé sous la direction de Charles d’Hubert avec son orchestre et Michel Bouvard au grand orgue. De magnifiques pièces de Francis Poulenc sont au programme, comme son Concerto pour orgue, cordes et timbales et très probablement son superbe Stabat Mater.

Entretien réalisé par Éric Duprix

Schola Cantorum de la basilique Saint-Sernin


Schola Quatre Chefs Pour Quatre Choeurs

Crédits photos
Gabriel Averous / Emma Bernard Guérin / Thibaut Chourré /Kévin Chiorazzo

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