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Opéra national du Capitole • Don Giovanni de Mozart / Agnès Jaoui (mise en scène)
Cinq cent vingt-septième œuvre conçue par un homme de trente et un ans, véritable tableau-bouffon dramatique de l’Eros, œuvre maîtresse de son auteur, grâce à Don Giovanni, Wolfgang Amadeus Mozart entre dans le petit groupe des Immortels de l’Histoire de la Musique.
« Avant tout, pour moi est l’opéra. » Mozart, 1782
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C’est une nouvelle production au Théâtre du Capitole pour le dramma giocoso en deux actes sur un livret de Lorenzo da Ponte créé le 29 octobre 1787 au Théâtre des États de Prague. La direction musicale est confiée à un tout jeune chef italien de 24 ans plein de promesses, Riccardo Bisatti. Un début de carrière assez stupéfiant (voir plus loin). L’intemporalité du mythe de Don Juan est entre les mains de, pour la mise en scène, Agnès Jaoui dans des décors d’Éric Ruf et des costumes de Pierre-Jean Larroque. Les Lumières, c’est pour Bertrand Couderc. Pierre Marin Oriol s’occupera des vidéos. Tous ces éléments nouveaux n’ont finalement pas été déterminants quant à l’enthousiasme des spectateurs qui ont pris d’assaut la billetterie dès l’ouverture de la saison. Une vraie razzia. Les amateurs ont réservé, les yeux écarquillés et les oreilles fermées, en toute confiance, un peu abasourdis par les triomphes qui se sont succèdés tout au long de ces dernières saisons.
D’autant que nous aurons neuf représentations, du 20 novembre au 30, à l’aide de deux distributions pour les rôles principaux qui sont, pour cet opéra, relativement nombreux. Quand on sait que, Mozart reprenant le thème antique du Don Juan, ne chante pas seulement par la voix de son héros mais, en une polyphonie presque inextricable et pourtant irréductible, par la voix de tous. Et c’est là que la confiance règne en maîtresse des lieux avec notre Directeur artistique Christophe Ghristi qui est le Dieu de la combinazione vocale.
Au baryton-basse Nicolas Courjal en Don Giovanni, il faut ajuster le Leporello adéquat qui sera le baryton Vincenzo Taormina. C’est le valet qui tient en mains le côté giocoso du dramma. Avec les deux sopranos dramatiques Donna Elvira de Karine Deshayes et la Donna Anna d’Andreea Soare. Et avec le seul qui peut lui donner la réplique, Don Ottavio, jeune fiancé plutôt “lisse“ confié au ténor Dovlet Nurgeldiyev. Zerline succombera-t-elle au désir- non-désir du maître ? Anaïs Constans doit pourtant convoler avec son Masetto, Adrien Mathonat. Enfin, Il Commendatore anéantira l’anti-Éros et ce à la charge de la basse Sulkhan Jaiani, surprenant Zaccaria dans le Nabucco de septembre 2024 et Nikititch dans Boris en 23.
Autre Don Giovanni, Mikhail Timoshenko – Chtchelkalov dans Boris et Marcello dans une Bohème – qui aura pour compère Kamil Ben Hsian Lachiri en Leporello. Il aura pour épouse très passagère l’Elvire d’Alix Le Saux et harcèlera Donna Anna prête à épouser Don Ottavio, l’ex-Pilote du tout récent Vaisseau fantôme soit Valentin Thill. Il n’aura de cesse d’arriver à ses fins, usant de son statut sur Zerline, Francesca Pusceddu qui doit convoler pourtant dans l’immédiat avec son Masetto, soit Timothéo Varon. Pour engloutir le coupable, Adrien Mathonat sera Il Commendatore. Remarquons que le rôle principal exige de celui qui le joue et le chante, en plus, un haut niveau de théâtralité et un physique disons…proche du, Don Juan !
On n’oublie pas que dans la fosse nous avons les musiciens de l’Orchestre national du Capitole de Toulouse que Riccardo Bisatti dirigera pour la première fois : quel immense challenge ! et que les membres du Chœur de l’Opéra national du Capitole participent sous l’autorité de leur Chef de chœur Gabriel Bourgoin.
Il est temps, mais peut-être déjà trop tard pour vous ruer sur quelques places rescapées de l’assaut généralisé. Enfin, sachez qu’autour de Don Giovanni, le Théâtre du Capitole anime toute une série de forums, conférences, ateliers, rencontres méritant tout votre intérêt artistique.
Au sujet du chef Riccardo Bisatti, afin de rassurer si besoin est, quelques retours sur son Don Giovanni dirigé, à 22 ans, cliquez ici
L’œuvre est créée à l’Opéra italien Ty de Prague le 29 octobre 1787. L’intérêt particulier de son action apparaît dans l’opposition permanente entre style tragique et comique. D’une écriture miraculeuse où chaque note participe à la caractérisation, des personnages, des lieux et des temps de l’action, la musique dessine, le jour et la nuit, le rire et la cruauté, le divertissement et le tragique, le désespoir, l’amour, la mort et la vengeance, la noirceur, mais guère d’innocence, enfin, la dérision : un vrai dramma giocoso (drame gai) annoncé déjà par le titre du livret de Lorenzo da Ponte : Il dissoluto punito o sia il Don Giovanni. En sachant que ce Don Juan vient après une bonne vingtaine le précédent, tous dramma giocoso. Da Ponte s’est bien inspiré en puisant dans certains d’ailleurs, depuis le Don Juan de Tirso de la Molina en 1630.
Jusqu’au choix du registre grave – baryton ou baryton-basse – pour le héros, Don Juan, qui peut surprendre pour un sujet qui débute par un crime et se termine par la damnation éternelle du meurtrier grâce à une puissance extra-terrestre, sous la forme du Commandeur. Entre temps, la loi du désir aura régenté la plupart des personnages qui se livrent à une étonnante partie de cache-cache, entre eux, mais aussi avec eux-mêmes, qui veulent et ne veulent pas, voudraient être là, et ailleurs, plus fortunés mais libres, tel Leporello, le valet du maître. Ou, serrées par des bras qu’elles savent déjà perdus, amoureuse de l’assassin de son père comme Donna Anna, ou de l’infidèle notoire – Donna Elvira – ou par devoir envers un seigneur despote – Zerline. Une confrontation avec trois personnages féminins entièrement différents dont Mozart fait des figures musicales pleines de vie. Quant à Don Ottavio, le promis de Donna Anna, il n’est là qu’au titre de faire-valoir de Don Giovanni, même si ses airs pour ténor sont parmi les plus beaux de l’époque, dit-on.
Délibérément, ce sera le héros qui, constamment, cautionnera le versant giocoso, utilisant sans cesse l’arme de la dérision, les pirouettes du rire, joyeux, ou désespéré ?
Un héros qui pourtant n’entonne que trois airs, en un mot, qui ne chante pas mais avance, renverse tout sur son passage, poussé par la musique qui le soutient, accompagne ses rugissements, aiguillonne son désir -non-désir permanent, et l’achève net avant qu’il ne soit consommé. C’est plus souvent de la chasse sans objet.
À la tension succède une phase d’apaisement, dans de formidables ellipses qui dérobent à Don Juan son plaisir ! Don Juan est un jouisseur qui n’a pas de temps à perdre. « Il séduit avec l’énergie de la convoitise et de la concupiscence. Dans chaque femme, c’est le sexe féminin tout entier qu’il convoite. C’est là que repose la force d’idéalisation sensuelle qui lui permet à la fois d’embellir son butin et de séduire celui-ci. » Il a envie d’expériences toujours renouvelées, puissante machine à réagir, à séduire, à se rebeller, qui n’est pas prêt à subir un échec, et Donna Anna sera son premier, et alors tout va partir de travers. La machine s’est enrayée. Tout bascule. Les facettes du rôle principal sont nombreuses et le classe parmi les plus difficiles du répertoire sur le plan de l’interprétation scénique. Reconnaissons que, dans cet ouvrage, les trois ingrédients musique, chant et théâtre sont indispensables. Alors, chaque nouvelle confrontation avec ce grandiose drame musical et ses personnages caractérisés par leur richesse impose obligatoirement de faire un choix pour ne retenir qu’un des nombreux aspects de cette œuvre. On peut à peine s’imaginer une mise en scène et une interprétation musicale susceptibles de rendre avec justesse toute la richesse de cette extraordinaire partition. Baroque, romantique, contemporain, Don Juan a mille fois brûlé en enfer et mille fois ressuscité de ses cendres. Il est venu interroger et susciter les commentaires, les analyses, les mises en perspectives historiques ou philologiques…rien n’y fait, les enfers l’engloutissent et avec lui, le secret de son atypicité. Le cas Don Juan semble épuiser l’analyse et face aux nombreuses tentatives visant à l’épingler, il garde sa diabolique opacité.
C’est bien là que s’illustre la qualité sans égale de cet opéra qu’E.T.A. Hoffmann décrira à juste titre comme « l’opéra des opéras ».
Dans son Don Juan de Mozart, Sören Kirkegaard nous livre que tous les personnages sont des morceaux de Don Juan, comme une sorte de puzzle : « Mais quelle est donc cette force avec laquelle Don Juan séduit ? Il le fait avec l’énergie de la convoitise, de la concupiscence. Dans chaque femme, c’est le sexe féminin tout entier qu’il convoite ; c’est là que repose la force d’idéalisation sensuelle qui lui permet à la fois d’embellir son butin et de séduire celui-ci. Le reflet de cette gigantesque passion embellit et libère ce qu’il convoite, et qui brille d’une beauté accrue dans son reflet. Tout comme la flamme de l’exaltation éclaire de son irrésistible clarté même ceux qu’elle ne touche pas, pourvu qu’ils soient seulement en relation avec elle, de même il illumine bien plus profondément chaque femme dans la mesure où sa relation avec lui est de nature plus essentielle.
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Du monde, ce n’est pas aujourd’hui la noblesse qui nous saute aux yeux. D’autres forces sont à l’œuvre, violentes et destructrices, qui nous prennent à la gorge. Le mot même de noblesse est devenu tellement intempestif, presque gênant. Alors, résistons et acharnons-nous ! Une petite flamme en nous sait que cette noblesse est toujours là, fragile, sans doute abimée et pourtant indestructible. Et qu’il est bon de la voir flamboyer lors d’une belle représentation, quand l’émotion et l’humanité ruissellent. Quand l’énergie vitale se mue en énergie collective et partagée. En humble serviteur de la beauté, le Capitole entretient la flamme sur son plateau, dans ses ateliers, partout où il en a la possibilité. Il a l’amour du public et la fraternité chevillés au corps.
Cette saison, nous vous offrons en partage quelques-uns des chefs-d’œuvre de l’histoire : cet Otello que Verdi emprunte à Shakespeare et transfigure, la Salomé absolue de Strauss et Hofmannsthal, la Carmen insurgée de Bizet et Mérimée, le Don Giovanni métaphysique de Mozart. Vous pourrez aussi retrouver la bouleversante Lucia de Donizetti, folle de trop d’amour, et le vertigineux chassé-croisé de Thaïs et Athanaël, qui scellera nos retrouvailles avec Massenet. Tous tendent la main à Weinberg, dont le chef-d’œuvre La Passagère entre à notre répertoire et connaît ainsi sa première française. Ami et disciple de Chostakovitch, Weinberg sort progressivement de son ombre pour s’affirmer comme l’un des grands compositeurs de la fin du XXe siècle et, comme l’ont été tous les vrais créateurs, un observateur et un témoin essentiels.
Notre Ballet se laisse emporter par les zéphyrs et les tempêtes de Ravel et renoue avec la magie de Casse-Noisette. Il fait la part belle à la création avec une nouvelle génération de chorégraphes, mais accueille avec émotion une création de Carolyn Carlson, vestale de la danse s’il en est. La ferveur du public du Capitole, toujours plus nombreux et enthousiaste, montre bien l’absolue vitalité et la modernité essentielle du genre que nous célébrons et servons. Cette ferveur montre aussi la nécessité pour chacun d’entre nous de s’échapper du quotidien pour respirer l’air des cimes. Saison après saison, l’Opéra national du Capitole essaie de rendre l’air plus respirable, et même enivrant !
Claire Roserot de Melin Christophe Ghristi
Directrice générale Directeur artistique
Établissement public du Capitole Opéra national du Capitole
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