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Interview : Caroline Estremo à domicile pour conclure sa tournée

by Ines Desnot

Après deux Casinos Barrière complets l’an passé, Caroline Estremo conclura sa tournée au zénith de Toulouse, le 25 janvier 2024. Avec son spectacle « J’aime les gens », inspiré de ses années en tant qu’infirmière aux urgences de Toulouse, elle continue de soigner, mais cette fois par le rire. Culture 31 a rencontré l’humoriste.

Caroline Estremo
Caroline Estremo © Inès Desnot

Culture 31 : Avant, tu étais infirmière aux urgences de Toulouse. Cette vie professionnelle antérieure est un sujet central dans ton spectacle « J’aime les gens ». D’ailleurs, c’est comme ça que tu as fait tes premiers pas dans l’humour, avec une vidéo sur ton quotidien difficile de soignante, en 2016. Les messages passent mieux avec de l’humour qu’avec des pancartes ?

Caroline Estremo : Je pense que oui, j’en suis même persuadée. Ça fait des années, même des décennies que les soignants font grève et j’ai peur que l’effet retombe à force. Que ça fasse un peu comme avec la SNCF et que les gens se disent : « oui bon, ils sont encore en grève ». En fait tu n’écoutes même plus quelles sont les revendications, tu pars du principe qu’on est encore en train de gueuler. Donc j’ai tendance à penser qu’on nous écoute plus trop. Et à travers l’humour, je me suis rendue compte que tout d’un coup, l’attention était différente, puisque c’est dit avec plaisanterie… Mais c’est quand même calé !

Je pense qu’il y a beaucoup de messages que j’ai réussi à faire passer comme ça, alors qu’à la base ce n’était pas du tout prévu. Moi je racontais mon quotidien sans avoir la prétention d’être la porte-parole de quoi que ce soit. D’ailleurs, ce n’est toujours pas le cas. Mais c’est vrai qu’on m’a dit que ça avait fait écho auprès de certaines personnes, qui ont entendu le message autrement.

Dans la fameuse vidéo de 2016, tu te mets en scène au moment où tu dis à tes parents que tu veux arrêter la fac de droit pour devenir infirmière et tu dis : « j’aime les gens, je veux être utile, je veux les aider ». Ce message reste le même dans le titre de ton spectacle, même si ces mêmes gens ont pu t’en faire voir de toutes les couleurs aux urgences. Qu’est ce que tu aimes chez les gens ?

Je ne sais plus ! (Rires). Ce que j’aime chez les gens, c’est ce moment où ça fait « tut tut », un peu comme la connexion bluetooth. Je pense que, si tu fais ce métier – en tous cas c’était mon cas – c’est pour les gens, pour prendre soin des autres. Et à un moment, tu vas avoir un patient avec qui ça se connecte. Lui il est effrayé, il sait pas où il est, il sait pas ce qu’il a, il a mille questions dans la tête, et alors il n’y a que toi, que ton visage familier pour le rassurer et faire en sorte que les soins se passent bien. Donc t’as forcément un moment d’appréhension où tout le monde se tâte, et puis « pouf », ça se connecte.

C’est vraiment pour ce moment-là que je suis devenue soignante. Et c’est ce que j’aime chez les gens, quand tout le monde est en confiance et que tu peux vraiment créer quelque chose. Ça marche aussi quand t’es humoriste, parce qu’il y a un moment où t’es stressé, tu paniques, tu vois le public qui ne te connaît pas mais lui aussi est excité, et puis tout le monde fait une sorte de symbiose et là il y a une alchimie qui se crée, et c’est ça que j’aime, ce feeling avec les gens.

Ces connexions, c’est effectivement ce qui t’a donné envie de faire sourire les patients même dans les pires moments, au départ. Tu as parlé de ton public aussi, et le 25 janvier 2024, c’est cette fois un zénith entier que tu feras rire. Qu’est ce qui se passe dans ton cerveau quand tu t’imagines devant tout ce public ?

J’ai des frissons. Je te jure que j’ai des frissons. Parce que cette scène je l’ai tellement imaginée, durant toute mon adolescence, avec ce moment où t’as tout le public devant toi. (Elle pointe du doigt une photo d’un concert de Bigflo et Oli). Bon, pas à ce niveau là, car il doit y avoir 40.000 personnes (rires). J’imagine forcément les cris. Enfin, les cris, je dis ça comme si j’étais Beyoncé, mais on comprend l’idée. L’engouement du public, les applaudissements, les rires… Tout ça. Donc je l’imagine comme un moment fou. Un énorme « tut tut ». Un énorme moment de connexion. Et comme c’est à la maison, je sais pas pourquoi, mais j’ai bon espoir qu’il y ait une sorte de bon mood, des bonnes ondes.

Pour l’avoir déjà vécu au Casino Barrière, les deux fois c’était ça. Rien que quand je suis arrivée sur scène. On dirait que les gens sont tellement contents pour moi, qu’en fait moi je suis contente pour eux, et du coup il y a un truc qui se crée. Et encore plus au zénith j’imagine, parce qu’ils savent que c’est la dernière. Beaucoup me suivent sur les réseaux sociaux et j’en fais des caisses avec ce zénith, je saoule tout le monde. Donc je pense qu’il va y avoir une vraie bienveillance. Je l’imagine comme un très beau moment, je l’espère en tous cas. Repose moi la question le lendemain, si ça se trouve, je vais dire « c’était nul, il y a même pas eu de tut tut ». (Rires).

Donc tu n’as pas de stress particulier pour cette dernière date de la tournée ? Tu t’es notamment confiée dans de précédentes interviews sur des vomissements avant certaines scènes.

Si, je suis stressée. Heureusement, je ne vomis plus avant mes spectacles, j’ai réussi à contrôler la chose. Mais ça a duré un moment, et c’était vraiment le petit vomi juste pour t’embêter avant de monter sur scène. Pour le zénith, je ne stresse pas parce qu’il y a beaucoup de monde, mais parce que c’est la dernière, et que j’ai pas envie de la foirer. Ce spectacle je l’aime bien, c’est mon bébé, donc j’ai envie que ça se passe bien pour la dernière, que ce soit joli et qu’il n’y ait pas d’accroc. Après, je me dis « détends toi, en vrai c’est juste une date de plus », mais c’est dans un endroit oufissime. Et comme je disais, c’est cool que ça se passe à la maison, parce que ce sera avec les potes et la famille, mais de toute façon, pour moi, les Toulousains c’est mes potes !

En dehors du stand-up, tu as écrit des livres et même décroché un rôle au cinéma. Au regard de ces différentes expériences, rien ne vaut la scène ? C’est là que tu t’y sens le plus à ta place ?

Franchement, oui. J’ai adoré écrire des livres, j’ai kiffé ça. C’est un exercice qui me plaît énormément. Le cinéma aussi, c’était ouf comme expérience. Mais c’était dur. C’est différent parce que t’as un texte, un personnage, et comme on te fait refaire les mêmes scènes un milliard de fois, j’ai l’impression que tu t’y perds au fur et à mesure, dans l’intensité de ce que tu veux donner. Donc c’est quand même un exercice très difficile.

Tandis qu’avec la scène, t’as un contact direct avec le public tu peux pas refaire ta phrase 20 fois. C’est beaucoup de spontanéité. Puis le rire c’est fou, tu fais une blague et ça rigole en face, c’est génial ! Quand tu fais une blague en soirée et que ça tombe à plat, c’est violent comme truc, mais à l’inverse, tu te sens trop fière de toi quand tout le monde rigole. Et ce truc là, c’est addictif. Donc je dirais que la scène gagne haut la main.

C’est peut-être un autre élément qui te fait du bien : la musique. Elle intervient dans le spectacle pour apporter, entre autres, du rythme. Ça a été quelque chose de spontané cette intégration de petites parenthèses mélodiques ?

Oui, je l’ai tout de suite vu comme ça. Parce que, même dans la vie de tous les jours, quand il m’arrive des choses, j’aimerais presque que de la musique arrive à ce moment-là pour agrémenter le moment. Donc ça m’est venu naturellement, et j’avais même peur que ça soit un peu has been. Je me suis dit : « c’est ma mise en scène à moi, mais est ce que ça se fait encore d’intégrer des musiques qui portent le propos de ce que t’es en train de dire ? ». Et en fait ça marche bien, les gens aiment bien ! J’y connaissais rien à la technique du one man, je connaissais pas les us et coutumes, donc vraiment, tout a été fait à l’instinct. Plus tu le joues sur scène, plus tu rencontres des publics différents, plus tu l’adaptes au fur et à mesure, tu te dis « là je vais faire comme ci, comme ça, là je vais m’arrêter, là je vais accélérer ». Donc tout s’est fait naturellement.

À côté, on dit beaucoup que tu soignes les gens par le rire, parce que le parallèle avec ton ancien métier est évident et joli, mais faire rire les gens panse aussi tes propres plaies ? C’est ta thérapie ?

Oui, je pense. J’ai toujours utilisé l’humour. Depuis toute petite, et surtout dans les moments difficiles. Dès que je me faisais larguer par un mec par exemple, je plaisantais de la situation. J’étais comme tout le monde, j’avais mon amour propre blessé mais j’ai toujours voulu en déconner. J’ai même déjà eu des fous rires à des enterrements. J’aime rire de tout. Donc je pense que c’est aussi une façon de dédramatiser, d’exorciser tout ce que j’ai pu vivre au quotidien. L’humour, c’est ma propre thérapie et je pense que c’est la thérapie de plein de gens en fait.

Au début c’était pas mon intention ce truc de thérapie collective, c’est les spectateurs qui me l’ont dit. On m’a envoyé un message un jour en me disant : « tu soignais avant avec les soins, maintenant tu soignes avec l’humour ». Et j’ai trouvé la formule tellement belle, qu’effectivement je la reprends. Il y a beaucoup de soignants qui viennent me voir et qui sont dégoûtés du métier, et à la fin ils me disent : « mais comment t’as fait ça ? J’en pouvais plus, et maintenant je suis content d’aller bosser demain ». Je suis un petit Doliprane en fait, c’est cool ! (Rires).

À la fin de cette tournée, la page hospitalière sera-t-elle tournée ? Si oui, de quoi penses-tu parler dans ton prochain spectacle ?

Oui, j’aimerais changer. Parce que, même s’il faudrait au moins six spectacles de plus pour parler de ce métier, je pense qu’à force, ça va s’essouffler. Et quand j’ai commencé, j’étais la première infirmière qui faisait du stand-up, mais maintenant il y a beaucoup de soignants qui se lancent. Donc j’ai trop peur qu’on finisse par tous faire les mêmes blagues. Du coup j’ai envie de m’essayer à autre chose. Je vais faire un prochain spectacle qui sera plutôt sur ma vie perso. Je vais expliquer que j’étais mariée avec un homme, et comment au bout de six mois de mariage, je suis partie avec ma meilleure amie et témoin, qui, elle, était mariée au meilleur ami de mon mari.

Propos recueillis par Inès Desnot

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