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« Ma part de Gaulois » de Magyd Cherfi

by Léa Vergès

Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.

Comment grandir en apprenant « nos ancêtres les Gaulois » alors que l’on s’appelle Magyd Cherfi ? Comment faire concilier les pages du roman national avec celles que les pères ou les oncles ont écrites lors de la guerre d’Algérie du côté des « indigènes » appelés un temps à devenir des « Français à part entière » ? Autant de thèmes soulevés par Ma part de Gaulois, récit autobiographique paru en 2016, qui bouscule les mythes de l’histoire officielle comme ceux des récits familiaux.

« On trouvait ça troublant que nos vieux aient été un temps des héros gigantesques puis, sous nos yeux, de pauvres analphabètes atterrés qui nous intimaient l’ordre de ne jamais quitter l’ombre sous les platanes, de ne pas faire de vagues sous peine d’être renvoyés comme de vulgaires chahuteurs », se souvient Magyd Cherfi, né à Toulouse en novembre 1962. Voici donc le parcours d’un gamin issu d’une famille kabyle, couvé par sa mère, et dont les bons résultats dès l’école élémentaire lui valent d’être traité de « pédale » par ses camarades.

Magyd Cherfi © Polo Gara

Ce qui n’empêche pas le petit Magyd de devenir une sorte d’écrivain public dans la cité, chargé par les uns et les autres de la correspondance familiale ou des courriers administratifs. Quant à l’école de la République, elle est un sanctuaire relatif où « jusqu’à cinq heures on était peu ou prou protégés des « sale Arabe », des « rentre chez toi ». » Le gamin va vite délaisser les parties de foot pour les livres. Il écrit des poèmes malgré les baffes et les coups que ce genre d’occupation récolte de la part d’autres gosses. C’est tout de même mieux que sa copine Bija littéralement tabassée par son père et son frère pour avoir lu un livre.

Bac dans la cité

Peu importe, jusqu’à la Terminale, l’ado s’accroche aux mots, se lance avec passion dans l’atelier théâtre du lycée, écrit des pièces, chante Brassens avec le copain Bébert. Balzac, Flaubert et Hugo sont des présences fraternelles. Antigone d’Anouilh n’est pas loin. Puis, vient le baccalauréat et le miracle a lieu : « Sur mon passage chacun, chacune semblait sonné. Un bac dans la cité dépassait l’imagination, c’était l’homme qui marchait sur la lune, l’inaccessible étoile, l’affaire des Blancs. » Aucun misérabilisme dans ce récit d’initiation où l’on jongle avec les identités et les appartenances.

Nous sommes à la fin des années 70 et au début des années 80. La question religieuse était anecdotique. On ne parlait d’ailleurs pas de « musulmans », mais de « Beurs », d’« Arabes », de « Maghrébins ». De fait, Ma part de Gaulois prend aussi une valeur sociologique. Dans la lignée de Livret de famille et de La Trempe, parus en 2004 et 2007, et avant le remarquable Ma part de Sarrasin paru en 2020, ce livre âpre et joyeux possède des accents de comédie italienne. Même tendresse, même cruauté. Certaines scènes familiales ne sont pas sans évoquer celles d’Amarcord de Fellini qui signifie « Je me souviens » en dialecte romagnol. Cherfi se souvient des siens et ils deviennent les nôtres.

Christian Authier

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