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« La Porte du paradis » de Michael Cimino

by Ines Desnot

Chaque mercredi, on rend hommage à un grand classique du cinéma. A voir ou à revoir.

Fiasco commercial et critique, le troisième long-métrage de Michael Cimino, sorti en 1980, est entré dans l’histoire du cinéma pour avoir contribué à la faillite d’United Artists (mythique studio fondé en 1919 par Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks, Mary Pickford et D.W. Griffith) et par là même sonné le glas du « Nouvel Hollywood », période qui – de la fin des années 1960 à la fin des années 1970 – vit une jeune génération de cinéastes prendre le pouvoir en imposant des films singuliers, ambitieux, bousculant une certaine idée de l’Amérique.

© Carlotta Films

Porté par l’immense succès public et critique de Voyage au bout de l’enfer sorti en 1978 (cinq Oscars), Cimino a les pleins pouvoirs pour son nouveau projet très librement inspiré par un épisode de l’histoire américaine de la fin du XIXème siècle. Et Cimino ne va se priver de rien : décors pharaoniques, obsession du détail, un millier de figurants, un an de tournage, plus de soixante prises pour certaines scènes… Le budget explose et Cimino paiera sa démesure par une traversée du désert dont il ne se relèvera jamais tout à fait malgré le très bon L’Année du dragon en 1985.

Naissance d’une nation

Plus de quarante ans après, il faut voir ou revoir La Porte du paradis, mutilé lors de sa sortie, dans la version restaurée de 2012. Cimino, également auteur du scénario, revisite la « guerre du comté de Johnson » qui, autour de 1890, opposa dans le Wyoming des immigrants miséreux venus d’Europe de l’Est à de riches propriétaires de bétail se plaignant de vols. De la célébration de la promotion de 1870 de l’université d’Harvard à un bref épilogue à Newport en 1903 en passant par le conflit entre immigrants et propriétaires, le personnage de James Averill – shérif du comté de Johnson – sert de fil rouge au récit. Quand l’Association des éleveurs, revendiquant le soutien de l’Etat et du président des Etats-Unis, dresse une liste de 125 immigrants à abattre et embauche des tueurs, Averill – bien qu’issu de leur milieu – se dresse contre eux.

Cimino livre en quelque sorte sa vision de la « naissance d’une nation », mais dans un sens plus marxiste que celle ségrégationniste de Griffith. L’Amérique s’est construite non seulement sur la violence, mais sur la chasse aux pauvres et aux étrangers, nous dit Cimino, mettant à mal le rêve américain de la terre promise et du melting pot. Le cinéaste mêle le mélodrame amoureux (la prostituée Ella Watson déchirée entre son amour pour Averill et Nate Champion, un mercenaire au service des éleveurs), le western, la fresque politique et sociale. Il passe d’une scène de bal digne de Visconti à une bataille à la Sam Peckinpah. Il filme la nature et des paysages grandioses dessinés par le soleil et les nuages (magnifique photographie de Vilmos Zsigmond), transforme une scène de danse en patins à roulettes en spectacle épique transcendé par la musique de David Mansfield (également comédien, vingt-deux ans à l’époque). Quant au casting (Kris Kristofferson, Christopher Walken, Isabelle Huppert, John Hurt, Jeff Bridges, Sam Waterston), il est de première classe. Viva Cimino !

Christian Authier

Cinéma


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