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« Place de la Trinité » d’Alain Monnier

by Bruno del Puerto

Alain Monnier a le chic pour inventer des anti-héros terriblement attachants à l’instar de Barthélémy Parpot mis en scène dans quatre romans, mais celui de Place de la Trinité, publié en 2012, mérite aussi l’attention. Voici donc Adrien Delorme, quarante-huit ans, universitaire spécialiste de Flaubert, dont la vie a pour centre d’attraction cette place que les Toulousains connaissent bien. Il y habite, y a ses habitudes de café et de librairie, et surtout y déjeune une fois par semaine avec Louise. De douze ans sa cadette, la jeune femme, mariée et mère de deux enfants, ne partage pas l’amour transi que lui porte Adrien qui a quelque chose de M. Hulot et de certaines créatures de Sempé.

Alain Monnier

Autre atout de la place de la Trinité aux yeux de ce brave Delorme, sept siècles plus tôt, Pétrarque y fit une halte et décida alors de se lancer dans l’écriture de son chef-d’œuvre, le Canzoniere, dédié à la passion platonique qu’il éprouva quarante ans durant à l’égard de Laure. Un jour, Louise ne vient pas au rendez-vous. Face à cette absence bouleversant son existence bien réglée, Adrien ne quitte plus la place de la Trinité afin d’attendre le retour de l’aimée…

Eloge de l’attente

Roman d’amour, fable sur les paradoxes de nos destinées humaines, satire socio-politique : Place de la Trinité jongle brillamment avec les registres sans jamais perdre le regard à la fois tendre et doucement narquois que l’écrivain pose sur ses créatures. Alain Monnier épingle les travers d’une modernité écrite par les voraces, les cupides, les cyniques, les démagogues et les bien-pensants de tout poil, mais avec l’indulgence, la lucidité désolée d’un Marcel Aymé. Comme l’auteur d’Uranus, Monnier ne néglige pas le contrepoint poétique, la discrète mise en abîme, la fantaisie, l’humour.

Au-delà d’une époque dont Place de la Trinité saisit les vanités, Alain Monnier préfère s’attarder sur des sujets un peu plus éternels à l’image d’un bel éloge de l’attente : « Adrien savoure l’idée qu’on passe sa vie à attendre. Un train, une lettre, le résultat d’un scanner, le verdict, que la nuit tombe, le lendemain, la fin du film. On attend l’année prochaine. On attend la date anniversaire, les dates anniversaires. Comme Pétrarque. On attend nos premières fois. Avec angoisse et émotion. Il faut aussi que toutes ces attentes cessent, pour n’en garder qu’une, la seule qui nous importe vraiment, qui nous concerne jusqu’au bout. Jusqu’au dernier souffle, jusqu’au dernier râle. Ce qui sera notre dernière première fois. »

Christian Authier

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