Accueil » « Disparaître » d’Étienne Ruhaud

« Disparaître » d’Étienne Ruhaud

by Administrateur

Le gâchis

Il suffit d’un titre, ou d’un nom, pour décider d’une lecture. Le nom peut être celui d’un écrivain, ou, quand il est inconnu, celui de son préfacier. C’est Dominique Noguez, l’auteur regretté de tant de livres sombres et drôles, qui nous a conduit à lire Disparaître, d’Étienne Ruhaud, dont il a rédigé la préface. Quand le roman s’ouvre, Renaud Thuniée (anagramme de l’auteur) vient d’être licencié de son travail à la Poste de Nanterre. « Tu dois comprendre que tu n’étais pas fait pour cet emploi, lui dit Mme Kraft, son chef de service. Tu n’es pas assez rapide, ni assez organisé. »

Etienne Ruhaud

UNE ODYSSÉE NÉGATIVE

Commence alors ce que Noguez appelle justement une « odyssée négative ». C’est d’abord Pôle Emploi, où Mme Calort, sa « conseillère », manifeste le « comportement standard appris au cours des stages de formation » : elle pousse le nouveau chômeur à se fixer un « objectif professionnel », à « aller de l’avant », plutôt que d’être « si pessimiste » sur sa situation. (On pense à la phrase de Houellebecq dans anéantir : « Les conseillers de Pôle Emploi produisent de remarquables imitations d’optimisme, ils sont payés pour ça, sans doute ont-ils des stages de théâtre, voire des ateliers de clown, ça s’était beaucoup amélioré, ces dernières années, la prise en charge psychologique des chômeurs. »)

Mais le jeune homme est moins pessimiste que réaliste : sa licence de philosophie l’a conduit à des emplois modestes, qu’il échoue à conserver ; et son goût d’écrire à des velléités littéraires, qui n’ont pas dépassé le fanzine. Surtout, il devra bientôt quitter la chambre qu’il occupe, et qui est réservée aux agents de la Poste, dont il ne fait plus partie. Si le garçon a de la ressource – il est intelligent, observateur, conscient de ses limites –, il a d’abord honte de sa situation, et cette honte augmente son envasement : il n’a pas le courage de demander de l’aide à ses parents, ni d’acheter un billet de train pour rentrer à Brive, où il est né – et bientôt il n’a plus de quoi en acheter un, ni même de quoi passer un coup de fil.

UNE ÉPOPÉE TRAGIQUE

Le roman repose sur une alternance de chapitres consacrés à Renaud, et de chapitres centrés sur un père à la recherche de son fils. On ne fait pas d’abord le lien entre ce fils et le héros : on croit que les deux actions se déroulent au même moment ; quand on saisit qu’il n’en est rien, on sait aussi que la trajectoire du chômeur ne tiendra pas de l’épopée burlesque, comme celles du Jérôme Bauche de Martinet ou de Venedikt Erofeïev dans Moscou-sur-Vodka, mais de la vie gâchée.

C’est un roman de l’échec, comme il en est de formation ; mais c’est aussi le roman de la banlieue ; et c’est encore le roman de la peur et de la fuite : Renaud tente d’échapper à Lagarde, le bien nommé, le concierge chargé de lui signifier son expulsion, comme il essaie de fuir les paysages gris qu’il parcourt dans une ultime marche désespérée. C’est finalement la vie qu’il aura fuie, alors que le destin le rattrape, dans le décor lugubre d’un complexe hôtelier et commercial abandonné, qui ressemble à son existence.

Raphaëlle Dos Santos


Disparaître  •  Éditions Unicité

Articles récents