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La Passagère de Mieczyslaw Weinberg • Opéra national du Capitole

by Bruno del Puerto

C’est le premier opéra, écrit par un compositeur polonais du XXè siècle, décédé en 1996, Mieczyslaw Weinberg, qui sort enfin de l’ombre pour rejoindre la lumière. La Première aura lieu le 23 janvier 2026 et sera suivi de trois autres représentations. C’est une production de 2022, primée, du Tiroler Landestheatre d’Innsbruck (Autriche). Une nouvelle approche du nazisme et son mot-clé Auschwitz prend possession de notre salle lyrique après la réussite totale de l’opéra Voyage d’automne de Bruno Mantovani, donné ici-même en création mondiale.

La Passagère © Birgit Gufler
La Passagère © Birgit Gufler

À l’instigation au départ de Dmitri Chostakovitch devenu son ami, Mieczyslaw Weinberg lit un roman, récit de l’écrivaine polonaise Zofia Postmysz, revenue d’Auschwitz et de Ravensbrück. C’est la source de La Passagère. (Détails plus loin). En 1967-68, à 48 ans, il signera cet opéra majeur empreint d’un lyrisme puissant, entre ironie cruelle et tragique radical, barbarie et espoir. Il sera censuré en Union soviétique de peur que le parallèle camp/goulag soit trop souvent facilement évoqué ! Il lui sera même reproché son “humanisme abstrait“ et l’ouvrage tombera alors dans l’oubli jusqu’au décès de son compositeur en 1996. Une version de concert sera donnée à Moscou en 2006, puis en version scénique pour la première fois au Festival de Bregenz le 21 juillet 2010, preuve de la difficulté toujours de rentrer dans le tréfonds du fonds des horreurs perpétrées en ces années innommables. Zofia est présente, à 87 ans, avec le librettiste Alexandre Medvedev, qui décèdera le 26. Il n’empêche que, si en 2010, on pouvait toujours douter qu’un ouvrage aussi dense et dur puisse s’imposer au répertoire, un événement lyrique d’une telle force bouleversante a fait depuis son chemin pour devenir finalement, incontournable sur toute scène lyrique d’envergure. D’où son arrivée à l’évidence au Théâtre du Capitole.

Sofia Postmysz
Sofia Postmysz à son entrée à Auschwitz à 19 ans (1942)

Mieczyslaw Weinberg est né à Varsovie, en 1919 dans une famille juive traditionnelle. Environnement favorable, il se destine très tôt à une carrière musicale au piano mais la guerre approche et la Pologne va être envahie. La famille doit fuir, il s’échappera d’un camp et ce sera vers l’Union soviétique pendant que le reste de sa famille sera en partie décimée. Après un passage à Minsk (Biélorussie) puis Tachkent, il arrive en 1943, à Moscou où il va sceller une amitié qui durera trente ans avec Dimtri Chostakovitch, jusqu’à la mort de ce dernier en 1975. Il se fera connaître par, essentiellement, sa production de musique de chambre mais aussi ses musiques de film. Une tête qui dépasse dans le milieu culturel soviétique n’est pas bon signe au temps de Jdanov, patron de l’Union des compositeurs. Il subira donc la répression stalinienne. Il sera arrêté et emprisonné comme tant d’autres, musiciens, poètes, écrivains, théâtreux, peintres jusqu’à la mort de Staline en mars 1953, ce qui signe la fin des persécutions politiques. Il retrouve sa liberté et peut reprendre ses activités liées à la musique mais tout en restant sous étroite surveillance dans l’URSS. Se rajouteront des difficultés sentimentales et familiales disons complexes.

Francesco Angelico Crédit DR
Francesco Angelico – crédit DR

En 1958, il est associé au succès international du film Quand passent les cigognes de Mikhaïl Kalatozov resté depuis iconique par sa photographie d’un esthétisme saisissant, et dont il compose la musique. Mais, avec le décès de Chostakovitch en 1975 et la fuite alors, de l’autre côté du rideau de fer de chefs comme Kirill Kondrachine, Roudolf Barchaï et du couple mythique Rostropovitch-Vichnevskaïa, il ne reste plus grand monde dans l’URSS des années 1980 pour s’intéresser à la musique de Weinberg. Et l’antisémitisme sévissant toujours de manière irréfragable, la survie au quotidien est complexe. Sa fin de vie fut, de plus, rendue plus difficile, le musicien étant fortement handicapé par la maladie de Crohn. Il décède en 1996, sans avoir vu sur scène son ouvrage monté.

Mais, cent ans après sa naissance et près de vingt son décès, l’œuvre extrêmement vaste de Moisseï Weinberg émerge. Une véritable mine d’or pour héritage avec ses 26 symphonies, 7 opéras, 3 ballets, 17 quatuors à cordes, compositions vocales et instrumentales dans tous les genres connus, près de soixante musiques de film, cantates…. Il est paradoxal qu’un compositeur russe de son temps, le dénommé Edison Denisov ne l’évoque même pas dans des Entretiens parus en France en 1993 alors qu’il cite pratiquement tout ce qui a pu faire de la musique en URSS ! la concurrence n’arrange rien et Weinberg est, disons, un “gentil“.

Johannes Reitmeier
Johannes Reitmeier

La Passagère est le premier des sept opéras qu’il a composés. Opéra en deux actes et un épilogue sur une durée de deux heures quarante. Le livret est une adaptation d’Alexandre Medvedev d’un roman polonais de Zofia Posmysz (1923-2022). L’élément déclencheur serait un simple fait divers. L’écrivaine, devenue journaliste, effectue un reportage à Paris en 1959. Elle est Place de la Concorde quand une voix perçante d’une touriste allemande réprimant son enfant la sidère. Timbre inoubliable puisque celui de la kapo qui n’aura de cesse de la torturer par tous les moyens pour la faire plier à ses volontés jusqu’à la dénoncer pour exécution. Choc inouï qui la décide, encouragée par son mari, à l’écriture. Ce sera La Passagère de la Cabine 45, (compartiment qui la mène à Auschwitz) d’abord pièce pour les ondes puis, justement roman qui est signalé dans la revue Foreign Literature, repéré alors par Chostokovitch qui suggère à Alexandre Medvedev de le lire, qui le passe à Weinberg. Le livret sera justement de Medvedev.

Anaïk Morel © Ruth Kappus
Anaïk Morel © Ruth Kappus

Un début de synopsis succinct nous raconte que : Revenant sur ses propres années d’emprisonnement dans les camps d’extermination, matricule 7566, l’écrivaine s’intéresse plus particulièrement à ce qu’est devenue Lisa, Anneliese Franz, qui, quinze ans auparavant, avait été gardienne SS de camp à Auschwitz. Celle dernière croit reconnaître Marta, l’une de ses anciens souffre-douleurs, parmi les passagers du paquebot qui vogue vers le Brésil, étape d’une nouvelle vie, loin d’un tragique passé. Elle est en compagnie de son mari diplomate de l’Allemagne de l’Ouest d’alors, Walter. Un passé qu’elle avait jusqu’à présent soigneusement dissimulé et qui remonte à la surface petit à petit, sourdement, avec tout le côté résolument monstrueux. Au cours de la traversée, à chaque fois qu’elle croise La Passagère, elle est comme saisie et terrifiée. Elle mène l’enquête aidée d’un steward. Situation bien inconfortable pour son époux qui ignore le pourquoi de ses crises. Il va l’apprendre à force de questionner son épouse, qu’il essaiera de raisonner. Et si après enquête, La  Passagère est dite sujet britannique puis, après vérification, sujet polonais, la terreur s’installe (……)

La force du roman devra se retrouver dans la construction de l’opéra avec ces allers-retours entre deux lieux scéniques si opposés, entre ce passé au-delà du sordide et ce présent qui doit s’attacher à gommer toute trace du passé. Des flashbacks de roman sur le paquebot et Auschwitz qui s’entrelacent dans une « vertigineuse dramaturgie de la mémoire. » On n’oublie pas que c’est l’époque où les survivants des camps commencent juste à raconter et témoigner. Un dispositif tournant favorisera le passage d’un milieu à l’autre durant tout l’opéra.

Nadja Stefanoff © D R Heidinger
Nadja Stefanoff © DR Heidinger

Et la musique, particulièrement riche participe à la dualité entre celle en rapport avec la vie sur un paquebot de voyageurs aisés – valse, danses de salon, jazz – et celle se rapportant à la vie dans les camps. Et là, il faut traduire le monstrueux, l’inhumain et donc, l’écriture de Weinberg rejoint plutôt Berg, et Chostakovitch, évidemment, et Alfred Schnittke, Giya Kantcheli et autres. Une partition chargée d’un lyrisme sardonique, ironique, strident, puissant. Les passerelles entre Weinberg et Chosta sont permanentes. L’atonalité est présente mais par simples touches. Les cuivres sont là (en principe, six cors, quatre trompettes, trois trombones, un tuba), saxophone, tous les bois par trois, célesta, guitare, batterie jazz, accordéon, percussions diverses, mais moments de délicatesse et mélancolie et émotion sont présents aussi. Il faudra tout au long, voir avec les oreilles et écouter avec les yeux. Ce sera tout le travail de Johannes Reitmeier et de Francesco Angelico.

Airam Hernandez Crédit Amaury Voslion
Airam Hernandez © Amaury Voslion

La production venue d’Innsbruck a été primée. Le metteur en scène en est Johannes Reitmeier. (Voir le Vivace) À la direction musicale, le chef que l’on a connu ici même pour sa prestation dans le Mefistofele de Boïto, soit Francesco Angelico. Dans la fosse, bien sûr, les musiciens de l’Orchestre national du Capitole. Sur le plateau, le Chœur de l’Opéra national du Capitole placé sous l’autorité de leur Chef de chœur, Gabriel Bourgoin. Rude tâche puisqu’il fonctionnera par instants un peu comme le chœur dans le Théâtre grec. Dans la distribution, on note Anaïk Morel en Lisa, Airam Hernandez en Walter, Nadja Stefanoff en Marta, Mikhail Timoshenko, son amoureux Tadeush, Céline Laborie en Katja, Victoire Bunel en Krystina, Janina Baechle en Bronka,…

portrait de Mieczysław Weinberg

« Audace dramatique majeure », chaque personnage du livret s’exprime dans sa langue maternelle, soit en allemand, ou anglais, polonais, russe, yiddish et français, ce qui pourra créer une puissante unité poétique.  Tous seront surtitrés en français.

On remarquera les événements entourant l’opéra lui-même avec un concert au Théâtre de musique de chambre, Chostakovitch-Weinberg, avec Elisabeth Leonskaja et le Quatuor Danel, un Zygel à la Halle sur Chostakovitch, et les conférences d’avant-spectacle incontournables. Et la lecture du Vivace ! bien sûr.

Michel Grialou



Opéra national du Capitole

Opéra National Du Capitole La Passagère

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