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L’Ecologie en bas de chez moi de Iegor Gran

by Bruno del Puerto

Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre à redécouvrir.

Alors que sortira au mois de janvier le nouveau roman de Iegor Gran, Les Explorateurs, on peut se plonger ou se replonger avec profit dans l’œuvre de cet écrivain dont la veine comique – mêlant absurde et burlesque – est particulièrement précieuse.

Iegor Gran
Iegor Gran © DR/Bayard

Dans Spécimen mâle, il imaginait un monde sans femmes. Dans ONG !, il racontait la guerre entre deux organisations humanitaires installées tandis que la France déclarait la guerre à l’Amérique dans Jeanne d’Arc fait tic-tac et que Les Trois Vies de Lucie décrivait un couple en guerre (à travers trois narrations : la première en lisant les pages de gauche du roman, la deuxième en lisant les pages de droite, la troisième en lisant normalement). Plus classique dans sa narration (malgré un bref détour par le néolithique), L’Ambition s’efforçait de cerner via un jeune homme d’aujourd’hui, rêvant d’être le nouveau Mark Zuckerberg, un éternel penchant humain.

Iegor Gran préfère le rire à l’esprit de sérieux, la satire sociologique à la thèse, par exemple quand il définit « l’espèce telerama mediocris : une télé 105 cm, un canapé et une table basse, où flottait, tel le radeau de la Méduse attendant le sauveur, une monographie de Botticelli ». Traquant le ridicule, petit ou grand, la vanité, les tics de la mode, les clichés, le prêt-à-penser ; l’écrivain – à qui l’on doit aussi Le Truoc-nog, satire des ambitions littéraires et du plus célèbre des prix d’automne – aime le négatif, le poil à gratter, l’imprévu, les situations où le faux devient un moment du vrai.

Incontinence de bonnes intentions

Ainsi se mettait-il en scène dans le récit L’Écologie en bas de chez moi paru en 2011. Aragon conseillait de tout lire, jusqu’aux notices des médicaments. Iegor Gran lit tout : ses factures de gaz, les publicités des supermarchés, les tracts, Le Guide du Routard Tourisme durable 2008, les directives de l’ARPP (Autorité de régulation de la publicité), les modes d’emploi des ampoules fluocompactes, des essais comme La Suisse se réchauffe ou Ecologie, quand les femmes comptent, et même Libération où il signa en juin 2009 une tribune contre le film Home de Yann Arthus-Bertrand.

De ses lectures et de son mauvais esprit, Gran a tiré une comédie au vitriol qui sonde les reins d’un écologisme aussi spectaculaire qu’insidieux masquant sa tartufferie et son cynisme derrière « une incontinence de bonnes intentions ». Quand tout le monde, des pires pollueurs aux plus voraces marchands du temple en passant par une ribambelle d’idiots utiles, s’affiche partisan du « développement durable » (un oxymore dont Orwell aurait fait son miel), L’Écologie en bas de chez moi pointe une « dynamique moralisatrice » maniant le « sympa démagogique, tendance camp de rééducation » et masquant mal « l’agitation commerciale » de la main de fer du marché. On ne s’était jamais autant amusé à percer les secrets du réchauffement climatique ainsi que les querelles d’experts et d’idéologues que sous la plume de l’auteur de Thriller qui renoue, par des notes de bas de pages hilarantes, avec la verve sarcastique et la lucidité du regretté Philippe Muray.

Comme lui, Iegor Gran expose le spectacle à la fois irrésistiblement drôle et désespérant des causes portant plainte contre les conséquences. Sous les prédictions apocalyptiques des autoproclamés défenseurs de la planète percent le désir de table rase, le nihilisme, la haine de soi. La « démangeaison écolo » est « un moyen de recycler une forme d’utopie révolutionnaire », note l’écrivain en rapprochant de manière implacable ce prurit avec quelques totalitarismes passés. À l’inverse, nous parions que l’œuvre de Gran sera durable.

Christian Authier 


Librairies 3

L’Ecologie en bas de chez moi  •  POL.

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