Dans la lignée de son superbe La Grâce, prix de Flore 2020, Thibault de Montaigu signe en cette rentrée littéraire Cœur, récit autobiographique explorant la mémoire familiale. Au commencement, il y a le père de l’auteur, malade, qui vit dans un studio-logement payé par deux de ses fils.
En effet, il ne voit plus depuis dix ans, il a le cœur fatigué et son existence se résume à « une suite d’ordonnances et de notices d’appareils ». Avant le vieillard à bout de souffle errant dans les souvenirs et les « brumes de son passé », il y eut un homme flamboyant et flambeur, « étincelant de charme et d’esprit ».
On imagine Jean-Paul Belmondo ou Jean-Pierre Cassel pour interpréter ce séducteur qui, à l’étroit dans la vieille aristocratie provinciale, collectionnait les conquêtes et les mariages, les projets mirobolants et les fuites en avant. Les dernières décennies, il vivait « principalement des largesses de ses amantes et de la naïveté de ses amis » avant que sa minuscule retraite et sa santé déclinante ne le condamnent à une quasi réclusion.
Le portrait que Thibault de Montaigu dresse de ce père si souvent absent, qui refaisait sa vie comme l’on se refait aux jeux, touche par sa lucidité, sa tendresse désabusée. Parfois, l’octogénaire au bord de la mort redevient l’éternel jeune homme d’autrefois, mais une préoccupation inattendue le taraude. Il faudrait écrire l’histoire de son grand-père Louis fauché par un obus en 1914. Qui mieux que son écrivain de fils pourrait s’atteler à la tâche ?
Cœur d’enfant
Cœur navigue ainsi entre plusieurs époques et plusieurs générations. On suit Thibault de Montaigu dans ses recherches sur l’existence de son arrière-grand-père capitaine au 7ème régiment de hussards qui reçut la croix de guerre à titre posthume pour une charge héroïque à cheval contre l’artillerie allemande afin de sauver un bataillon d’infanterie pris au piège.
Cet acte de bravoure passe pour avoir été la dernière charge de cavalerie de l’histoire de France, mais qu’est-ce qui a suscité chez cet homme de 43 ans, père d’un petit garçon, le « désir à la fois sublime et ridicule d’en découdre » ? Des mystères et des secrets ponctuent cette manière d’enquête.
Des archives, des journaux ouvrent des pistes.
Ainsi, le voyage dans le temps de Thibault de Montaigu ressuscite des voix qui parlent d’outre-tombe, des « ombres ou des revennts » qui ne nous quittent jamais vraiment. Mais le présent reprend aussi ses droits. L’état du père se dégrade encore. Des rémissions miraculeuses retardent l’échéance.
Alors, en lisant Cœur, on songe au Pascal Jardin (Pascal, pas Alexandre) du Nain jaune. Refusant la complaisance, le narcissisme, le pathos, l’exhibitionnisme qui sont les plaies des récits autobiographiques des temps présents, l’auteur des Grands gestes la nuit signe un texte où la vérité des sentiments rejoint la sincérité du style. Dédié à « cet amour premier » et au « cœur d’enfant » qui ne cesse de battre, ce récit en forme de dernier voyage nous souffle que les fils sont là pour continuer les pères. Ce que Thibault de Montaigu fait magnifiquement.