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La Civilisation du spectacle de Mario Vargas Llosa

by Anthony del Puerto

Dans l’œuvre abondante du prix Nobel de littérature, il n’y a pas que des romans.  La preuve avec ce recueil de textes, sorti en France en 2015, dont le titre fait référence à La Société du spectacle de Guy Debord.

Si Vargas Llosa reprend ici l’une des idées principales du pape du situationnisme (l’avènement d’une société où le fétichisme de la marchandise est total, d’un monde où le vrai est un moment du faux), il ne se livre pas à une exégèse de la pensée debordienne, mais plutôt à une libre réinterprétation à la lumière des temps où nous sommes.

Mario Vargas Llosa © C Hélie / Gallimard
 Mario Vargas Llosa © C Hélie / Gallimard

Diagnostiquant « une culture en crise et en décadence », l’écrivain fait de la « démocratisation excessive de la culture » le responsable de cet appauvrissement, de ce déclin. « La quantité aux dépens de la qualité » : voilà donc selon lui le mot d’ordre d’une culture de masse, mondialisée, purement récréative dont les images, Internet et le monde des écrans sont les fers de lance. L’auteur de La Fête au bouc n’oublie pas que « la disparition des élites, de la critique et des critiques qui, auparavant, établissaient des hiérarchies et des modèles esthétiques » a vu l’avènement de nouvelles élites dont l’imposture et le nouveau conformisme de l’art contemporain sont l’une des figures : « le culot et la bravade, le geste provocateur et insane suffisent parfois, avec la complicité des mafias qui contrôlent le marché de l’art et les critiques complices ou gobe-mouches, pour couronner de faux prestiges et conférer le statut d’artistes à des illusionnistes qui dissimulent leur indigence et leur vide derrière la fumisterie et la prétendue insolence. »

Dinosaure en cravate

Il y a beaucoup d’autres irrévérences envers notre époque dans La Civilisation du spectacle écrit par un homme du monde d’avant qui ne se résout pas à voir « les bouffons et les amuseurs publics transformés en maîtres à penser ». L’érotisme devenu pornographie, le journalisme cédant la place à la presse people : les mutations à l’œuvre sont décrites crument quitte à fâcher les bien-pensants. « Le politiquement correct a fini par nous convaincre qu’il est arrogant, dogmatique, colonialiste, voire raciste, de parler de cultures supérieures et inférieures, et même de cultures modernes et primitives », ose Vargas Llosa.

« Quelque chose de l’immatérialité du livre électronique passera dans le contenu, comme il en va de cette littérature bancale, sans ordre ni syntaxe, faite d’apocopes et de jargon, parfois indéchiffrable, qui domine le monde des blogs, Twitter, Facebook et autres systèmes de communication à travers la Toile », prévient-il en sachant que le média et la technique ne sont jamais neutres, mais des outils pouvant même échapper à leurs créateurs. Vargas Llosa se présente comme « un dinosaure en pantalon et cravate, entouré d’ordinateurs », et même si l’air se raréfie pour cette espèce, « les dinosaures peuvent se débrouiller pour survivre et être utiles dans les temps difficiles », pronostique-t-il. On veut y croire.

Christian Authier

Un livre pour le week-end


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La Civilisation du spectacle – Gallimard

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