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Mehdi Djaadi, un comédien riche de sa pluralité

by Ines Desnot

Algérien, Stéphanois, musulman, chrétien… Mehdi Djaadi est multiculturel et multiconfessionnel. Un miroir à travers lequel chacun peut entrevoir un morceau de sa propre histoire. Le 24 janvier 2024, il montera sur les planches du Casino Barrière avec son spectacle « Coming Out ». Culture 31 a échangé avec le comédien.

Mehdi Djaadi

Culture 31 : Tu es né à Saint-Étienne et tu as grandi dans un quartier populaire. Quel souvenir de ton enfance t’a particulièrement marqué ?

Mehdi Djaadi : Le fait qu’il n’y avait pas internet ! Je viens d’une génération où il n’y avait pas internet. Quand je repense à Saint-Étienne enfant, je repense à une enfance sans écran, dans une ville ouvrière pas très jolie, mais avec beaucoup de chaleur humaine. Une ville multiculturelle. Tout le monde se retrouvait. J’ai des souvenirs de stade de foot, puisque Saint-Étienne a une équipe extrêmement suivie. L’enfance est vraiment associée à ça : pas d’écran, beaucoup de chaleur humaine, et le stade.

Parmi les premiers films que tu as regardé enfant, il y a ceux avec Louis de Funès. L’humour de ce cinéma-là te parlait ou pas du tout ?

On regardait les films de Louis de Funès à la maison, mais aussi les sketchs d’Élie Kakou et Raymond Devos avec ma maman. Et j’ai vraiment un coup de cœur pour Raymond Devos depuis mon enfance. Ce gros bonhomme qui avait un visage d’enfant, un peu étrange, et qui était un peu un maître des mots, et qui jouait avec, tout ça me fascinait. Je dirais Chaplin et de Funès pour le cinéma et puis Élie Kakou et Raymond Devos pour l’humour.

Dans une interview accordée à Voici, tu parles aussi d’une « claque monumentale avec l’arrivée de Jamel, de Gad Elmaleh, d’Omar et Fred ».

C’est exactement ça. D’autant plus à l’âge où tu te cherches un peu, surtout à l’adolescence, et que tu cherches un peu des modèles qui ressemblent à une part de toi. Jamel et Gad avaient un humour qui venait toucher une corde de mon identité et forcément ça a été un raz-de-marée. Pas que pour moi, pas que dans les quartiers populaires, mais dans la France entière. On a tous découvert Jamel avec toute cette autodérision qu’il avait et c’était assez prodigieux. Puis Gad qui rejoignait tous les foyers de France quand il rigolait du quotidien. C’était plus le quotidien de la vie qui me faisait rire chez Gad. Il avait et a toujours un côté mime et j’étais fasciné par ça. Omar et Fred et Éric et Ramzy étaient les duos de l’absurde. Et donc on avait une espèce de palette d’humour qui apportait un vent de fraîcheur. Ça a été une nouvelle vague qui nous a tous emporté.

Après avoir arrêté l’école, à 15 ans, tu tombes dans la délinquance et dors même dans la rue. À l’époque, savais-tu que c’était temporaire ou avais-tu une forme de résignation ?

J’avais pas beaucoup de perspectives. Je savais que l’école, c’était pas fait pour moi. Donc j’ai lentement glissé vers la délinquance, parce que je me suis retrouvé hors système. Et quand t’es hors système, la délinquance fait partie des ingrédients de ton quotidien. Du coup, à cette époque là, je vois bien que c’est pas la voie que je veux pour réussir ma vie, mais que j’ai pas d’autre alternative. Donc je me laisse vivre. Puis c’est les années de la jeunesse où on vit un peu comme un hippie. Même si je sentais que je pouvais pas sortir de Saint-Étienne, et que mon terrain de jeu, c’était ma ville, je vivais un peu de façon libre.

Il y avait un grand désir de liberté, quelque part assez jouissif aussi, sans inciter les gens à faire pareil ! (Rires). Mais tu te sens libre, t’as aucune contrainte dans la petite délinquance, avant d’aller vers des choses un peu plus graves. Finalement, avec les années, tu te rends compte que tu dors dans la rue pendant que tes anciens camarades de classe entrent à l’université. Tu fais des bêtises et tu sens que si tu te fais attraper, ça peut vraiment mal se passer. J’avais des personnes très proches qui commençaient à prendre de très grosses peines de prison. Puis je me droguais, beaucoup de shit et un peu d’autres drogues. Et avec tout ça combiné, j’avais quand même conscience que tout ça pouvait mal finir.

Tu as finalement cru en tes rêves, et en 2016 te voilà nommé pour le César du meilleur espoir masculin. Cette année tu étais également nommé dans la catégorie seul-en-scène des Molières. Qu’est ce que tu dirais au toi de 15 ans ?

Je lui dirais : « tu vois cette petite lumière, cette petite lueur que t’avais en toi, ce rêve d’être acteur – qui m’a toujours poursuivi, de l’enfance à l’adolescence – garde la au chaud et fais confiance aux personnes que tu vas rencontrer ». Parce que j’ai eu la chance, dans ce parcours, d’avoir plein de gens qui m’ont tendu la main, à plein de périodes de ma vie. Et je lui dirais : « fais toi confiance, fais confiance à la vie, parce que si tu es dans une bonne disposition, tu auras toujours quelqu’un qui te tend la main ou te rejoint pour faire un bout de chemin. Un ami, un amour… ».

Avec « Coming Out », tu racontes aussi ton histoire avec la foi. En tant que musulman devenu chrétien, quel regard appréhendais-tu le plus sur ce changement de confession ?

En fait, je n’ai pas ressenti ça comme un changement net. J’ai la chance d’avoir à la fois une double culture, je suis multiculturel et multiconfessionnel en moi-même. C’est une grande richesse de ne pas être juste un truc étriqué avec une étiquette. J’ai un parcours de vie et un parcours de fois qui font que je suis nourri de tout ce que j’ai exploré. J’ai un peu fait mon petit marché, et aujourd’hui, je suis fier d’avoir emmagasiné ces richesses, d’avoir pris le bon de chacune des spiritualités. Je peux être très conscient du mauvais, de ce que les gens peuvent faire en l’utilisant, mais j’ai eu la chance d’en voir le bon et de me l’approprier.

C’est un peu comme la parabole du couteau. On donne un couteau à quelqu’un, et soit il construit une maison, soit il va planter quelqu’un. J’ai l’impression que j’ai pu voir ça dans les religions que j’ai traversées, et j’ai pu garder le côté « couteau qui construit une maison ». Et j’essaye d’en faire la promotion aussi. J’ai pas envie de laisser les personnes qui en font mauvaise publicité être sur le devant de la scène. Au même titre que je ne veux pas laisser dire ceux qui pensent que c’est l’opium du peuple et que ça sert à rien. Je peux témoigner du fait que ça a été d’une grande aide pour moi et que ça m’aide aussi à vivre avec les autres et apporter ma petite pierre à l’édifice dans la société.

D’ailleurs ton spectacle s’adresse aux croyants de toutes confessions comme aux athées. Le terme est tendance mais semble surtout de circonstance ; « Coming Out », tu voulais en faire une « safe place » ?

C’est exactement ça. C’est ce qui s’est dégagé du spectacle. Que c’est effectivement une safe place, dans le sens où, on rit de tous et de tout avec beaucoup de bienveillance. Chacune et chacun se reconnaît dans un des personnages. Du coup, ça fait tomber plein de barrières et ça fait du bien. Surtout à l’heure où les plateaux télé nous opposent les uns aux autres, à l’heure où les conflits internationaux et géopolitiques nous opposent aussi les uns aux autres. Se retrouver dans une salle de théâtre, qui est un endroit neutre, qui est un endroit libre, où on peut rire, voyager et s’émouvoir ensemble, c’est ce qui me touche. Avoir des salles hyper diverses qui rient ensemble à l’heure actuelle, ça me fait du bien, et des retours que j’ai, ça fait aussi beaucoup de bien aux spectatrices et spectateurs.

Dirais-tu qu’aujourd’hui tu as accédé à la paix intérieure ?

Je la poursuis inlassablement. Il y a une grande paix aujourd’hui en moi mais je sais qu’elle est fragile et j’essaie vraiment de la cultiver.

Propos recueillis par Inès Desnot

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