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« La femme de Tchaïkovski » de Kirill Serebrennikov

by Bruno del Puerto

La femme de Tchaïkovski, un film de Kirill Serebrennikov

Cela fait plusieurs années que le cinéaste russe travaille sur ce projet. Pour ce faire il a dévoré toute la documentation existante et fiable concernant l’épouse éphémère du génial compositeur russe Piotr Ilitch Tchaïkovski, notamment les livres écrits par Alexander Poznansky et Valeri Sokolov, deux références absolues en la matière.

Le sujet concerne non pas le musicien, si ce n’est de loin, mais Antonina Milioukova (1848-1917), l’une de ses élèves qui, tombant follement amoureuse de ce dernier, n’aura de cesse que de se faire épouser par celui-ci. Or, et ce n’est plus un secret en Russie, Tchaïkovski préfère les hommes. S’il consent au mariage c’est en même temps pour se couvrir d’une aura sociale bourrelée d’hypocrisie.  Le mariage ne sera pas consommé et très rapidement Piotr Ilitch et Antonina vont se séparer, sans pour autant divorcer. Ce n’est pas que cette dernière n’ait pas reçu de pressions en ce sens, parfois violentes, mais voilà, son amour pour le compositeur va bien au-delà du raisonnable. Il tourne à la passion dévastatrice qui l’amènera directement dans un hôpital psychiatrique. C’est là d’ailleurs qu’elle décèdera, 23 ans après la disparition de son bien-aimé.

C’est donc ce lent cheminement vers l’abîme que nous raconte le cinéaste, avec la précision clinique de sa direction d’acteur que nous lui connaissons, ici Odin Lund Biron (Tchaïkovski) et, surtout, la fascinante Alyona Mikhailova, une Antonina aux multiples visages. Il faut dire que cette pauvre femme aura vécu un véritable enfer sur terre. Entre le rejet de son mari, de sa famille, de la société russe d’alors, les trois enfants conçus dans un cadre adultérin et morts en bas âge dans des orphelinats, il est aisé de comprendre les fractures psychologiques qui se sont emparées d’elle.

Dans une lumière sourde, des décors à l’austérité très bergmanienne, des costumes aux détails documentés, le drame s’écoule, inexorable, terrifiant, sous le regard impavide d’une société machiste détournant les yeux, plus soucieuse de se contempler que de comprendre le désarroi dévastateur qui anéantira Antonina.

Robert Pénavayre

Cinéma

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