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« Irréfutable essai de successologie » de Lydie Salvayre

by Bruno del Puerto

Chaque semaine, on vous invite à lire une nouveauté, un classique ou un livre injustement méconnu.

« Comment intriguer, abuser, écraser, challenger », « Comment obtenir la faveur des puissants » et « embobiner les foules » : le faux manuel du parfait arriviste, publié par Lydie Salvayre en ce début d’année, a le mérite d’identifier clairement les clés ouvrant la voie au succès et à la célébrité. Pour asséner une telle charge contre les valeurs du temps et la culture du narcissisme dopée par les facilités digitales, mieux vaut avoir connu soi-même la réussite sous peine de se voir soupçonner de jalousie, de rancœur, d’envie. Lauréate du prix Goncourt en 2014 pour Pas pleurer, appréciée quasi unanimement par la critique, Lydie Salvayre ne sera pas accusée de ces viles arrière-pensées.

Lydie Salvayre

Si cet Irréfutable essai de successologie plonge dans nombre de milieux et de moyens (notamment les réseaux sociaux, les influenceurs ou influenceuses, le buzz numérique), le petit monde littéraire – parfait microcosme des ambitions et des vanités – occupe évidemment une large part du propos. L’auteur dresse ainsi une typologie des écrivains parmi lesquels le « transfuge » de classe évoquera instantanément au lecteur des noms connus : « Il ou elle se répand dans ses écrits sur son enfance malheureuse, les humiliations subies, le mépris de classe, l’increvable complexe d’infériorité, la honte d’avoir honte, le logement miteux ». Bien sûr, « Une enfance pauvre dans un HLM de banlieue, l’agression sexuelle par un oncle maternel, des parents indignes » ne sont pas à négliger dans l’exploitation misérabiliste d’essence autobiographique.

Dans le sillage des moralistes du Grand Siècle, de Baltasar Gracián, de Machiavel, avec des accents debordiens à propos « de la représentation et de ses simulacres », Lydie Salvayre oppose un « Non à ces livres sans nerfs, sans os, sans chair, sans poids, ces livres sans bonté, sans joie, sans rage et sans exultation, ces livres sans épines, ces livres sans arêtes, ces livres bien prudents, bien polis, bien proprets, ces livres bien nippés, bien peignés, pommadés, ces livres écrits à l’eau tiède à l’usage des tièdes et qui châtrent, affadissent et dévoient toutes les choses qu’ils nomment. »

Christian Authier

Lydie Salvayre, Irréfutable essai de successologie, Seuil.

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