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« L’Immensità » d’Emanuele Crialese

by Bruno del Puerto

Penélope Cruz fait irruption dans le cinéma italien pour un film aux contours multiples dont elle dessine les angles vifs avec un art souverain. Inoubliable !

Rome, années 70 du siècle passé. Clara, d’origine espagnole, est l’épouse d’un homme aisément installé dans la société. Elle est aussi la mère de leurs trois enfants. L’ainée, Adriana, adolescente, est très proche d’elle. Il faut dire qu’elle traverse une vraie crise d’identité. En effet, Adriana se sent une âme et un corps masculins. Si Clara le comprend, son père Felice (Vincenzo Amato) rejette cette situation, cause de railleries dans son dos. Violent avec sa femme, agressif, patriarche dans le sens le plus toxique imaginable, Felice n’hésite pas à franchir les frontières de l’adultère. Clara n’est plus qu’une potiche dans ce couple dysfonctionnel. L’ambiance familiale se tend en permanence. Clara plonge insensiblement vers une déprime sévère. Pendant ce temps, Adriana, qui se fait appeler Adri, tente de s’assumer. Elle rencontre une jeune fille de son âge dans un campement de gitans voisin. Sans rien dire, elle va alors savourer sa sexualité naissante. Certains dirons que ce film est trop riche de thèmes différents. Et c’est vrai. Il y a dans le dernier opus de Emanuele Crialese de quoi faire trois ou quatre films.

Mais voilà, malgré tout, on se laisse engloutir par cette famille vivant des troubles aujourd’hui dénoncés publiquement mais que la Péninsule post second conflit mondial évitait de regarder en face.  Etaient-ils les seuls ? Au cours d’une conférence de presse lors la dernière Mostra de Venise où ce film était présenté, Emanuele Crialese a fait son coming out trans. En effet, il est né femme et n’a jamais accepté cette condition. Le film est donc hautement autobiographique, du moins dans l’esprit. Et puis il y a Penélope Cruz. C’est bien sûr Clara, cette mère-enfant qui essaie de garder une fragile unité dans sa famille. En vain… Elle est lumineuse, confondante de compassion et de sacrifice. Ses regards perdus cherchent les clés d’un bonheur légitime que la vie lui refuse. Profondément émouvante et fabuleusement attachante, elle porte ce film sur ses épaules, aidée en cela par la jeune Luana Giuliani, Adri androgyne étonnante de détermination et d’ambiguïté assumée.  Les décors, costumes, voitures, bande-son seventies nous ramènent en un temps que l’on pensait bien appartenir au passé. L’actualité nous prouve que tout est loin d’être réglé…

Un film d’une sensibilité désarmante.

Robert Pénavayre

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