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Sans filtre, un film de Ruben Östlund

by Bruno del Puerto

Le paquebot de l’Apocalypse

En suivant la croisière de deux influenceurs sur un paquebot de luxe, le réalisateur suédois découpe notre société à la tronçonneuse, ne laissant que peu de place à l’espoir. Mais voilà, son film « Sans filtre » est tout simplement génial et formidablement jouissif. Il a remporté la Palme d’or Cannes 2022.

Sans filtre
© Fredrik_Wenzel_AlamodeFilm

Le film « Sans filtre » s’ouvre sur une séance de casting pour des mannequins hommes, une séance qui met déjà assez mal à l’aise tant ces pauvres garçons ressemblent avant tout à de la chair à vendre. Suit une autre scène assez « dantesque » qui nous met en présence de nos deux héros : Carl et Yaya, tous deux mannequins et influenceurs. Ils sont au restaurant et nous les découvrons au moment…de payer l’addition. Ce qui ne va pas de soi…

Puis le réalisateur nous embarque à bord d’un prestigieux bateau pour une croisière hyper-luxe à laquelle nos deux tourtereaux ont été conviés. À bord nous comprenons très vite que tout est permis aux passagers car ils sont multimilliardaires et ont payé leurs billets un prix fou. Ce qui ne veut pas dire pour autant que cet échantillon de notre société ici représentée soit des plus brillants : marchand d‘armes, oligarque russe, etc. Tous plus ou moins « troublés » par leurs incommensurables fortunes. Yaya et Carl observent ce zoo de la fatuité et de l’arrogance humaine avec un certain détachement. Alors que tout est réglé à bord pour que tout se passe pour le mieux, arrive le fameux dîner du Commandant, sacrosainte soirée à laquelle les croisiéristes se plient afin de faire croire à leurs clients qu’ils sont les plus importants du monde. Sauf que dans ledit paquebot qui n’a de luxe que l’apparence, le capitane est un brin alcoolique et ne veut pas quitter sa cabine. Finalement et déjà pas mal imbibé il se rend dans la salle à manger. C’est le moment que choisit une tempête pour se déchaîner. Mal de mer aidant, la soirée vire au fiasco intégral…et même davantage. Bref, nous retrouvons les rescapés du naufrage sur une plage déserte. Une petite poignée a survécu, y compris la responsable des toilettes. En fait la seule à savoir se servir de ses dix doigts. Elle va vite comprendre la situation et prendre du coup le leadership de ce radeau de la Méduse terrien. S’offrant même au passage….

Sans filtre
© Plattform-Produktion

C’est à l’acide, au vitriol, ce que vous voulez mais pour le moins décapant et salutaire. La critique de la fracture sociale est ici monstrueusement assénée avec un savoir-faire qui nous laisse souriant au milieu des pires turpitudes de notre société. La mise en scène de « Sans filtre » est plus que virtuose et la direction d’acteur d’une limpidité étourdissante. Parmi eux, le couple vedette d’influenceurs : Carl (Harris Dickinson dont le talent va bien plus loin que ses pectoraux), Charlbi Dean Kriek (Yaya éblouissante dont ce sera hélas la dernière apparition…), mais aussi Woody Harrelson et tous les autres, distribués au cordeau.

Un peu long, peut-être, mais à voir absolument ! Totalement jubilatoire !

Deuxième Palme d’or cannoise pour ce réalisateur après The Square en 2017.

Robert Pénavayre

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