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« À Paris » de Georges de La Fuly

by Bruno del Puerto

« Il aura fallu que je me mette à détester cette ville, […], pour que je sois pris d’une véritable nostalgie à son égard. » Nous avions déjà évoqué Luna, de Georges de La Fuly. Le même avait précédemment écrit À Paris. « Pris d’une véritable frénésie mnésique », il a rassemblé ses souvenirs de la capitale, où il vécut vingt-cinq ans, de 1977 à 2002.

A Paris de Georges de La Fuly

Ils suivent un ordre chronologique, et pourtant décousu, puisqu’ils sont animés par les caprices de la mémoire, « cette chose diabolique et vicieuse, en même temps que le plus délicieux des poisons ». Manifestant un rejet du monde moderne, ils produisent sur le lecteur un effet indéniable d’exotisme, souvent cocasse (« J’ai connu l’époque où les promoteurs envoyaient des types casser les chiottes communs dans les immeubles »). On y croise Glyne, la tante de l’auteur, et des quartiers, la place des Vosges, des musiciens, des femmes, l’érotisme diffus qui fut propre aux grandes villes, et des réflexions sur l’évolution de la capitale.

On lira notamment de belles pages sur la figure de la bourgeoisie provinciale, touchante, naïve et empruntée, comme on ne la rencontre plus guère. Ainsi, la mère de l’auteur voit les ouvriers, dans sa petite ville, comme « des individus » ; à Paris, ils sont « une armée ». De la même façon, elle porte en semaine des fourrures qu’elle n’aurait pas portées chez elle. Plus généralement, c’est la figure de l’artiste de province qui passionne le lecteur. On a presque oublié l’aimant que constituait la capitale pour les jeunes gens ambitieux, ou seulement curieux. Ils s’y trouvaient mêlés à un monde infiniment plus riche et excitant que ce qu’ils avaient connu. L’indifférence, l’anonymat, la foule, la vitesse, que, revenus chez eux, ils prétendaient détester, constituaient au contraire « un plaisir inconnu qui les gris[ait] et dont peut-être ils [avaient] peur ». Aussitôt revenus dans leur petite ville, la sensation d’étouffement les reprenait en effet. (On recommande particulièrement le chapitre sur la « distance », « cette impression singulière », qui distinguait Paris de la province, non « pas seulement une matière temporelle », mais « une doctrine de l’espace ».)

Que trouvait-on à Paris d’exaltant ? La richesse artistique et culturelle, bien sûr, mais surtout la liberté, la surprise des rencontres et la possibilité des amours. C’est ce que l’auteur resserre dans une belle formule : Paris permettait d’« embrasser la carrière de l’occasion ». Chaque jour, au réveil, on se disait : « C’est sans doute pour aujourd’hui. Quoi ? On ne le sa[va]it pas, et c’est pour cette raison qu’on [voulait] être là, être près de l’occasion, être dans le cercle magique des heures qui les contient toutes. »

Il y avait la flânerie aussi (« Errer est humain, disait Victor Hugo, flâner est parisien »), morte, remplacée par la visite : il n’y a plus de province, il n’y a plus de flâneurs, il y a des TGV et des touristes. Paris, en général, est mort, dit l’auteur, non sans amertume. Tout y « est faux, bavard, folklorique au plus mauvais sens du terme, sous verre, sauf la violence qui elle est bien réelle », une ville pour « amateurs de Fred Vargas et de John Adams ». Il date de la guerre dans l’ancienne Yougoslavie la fin du Paris qu’il a connu, « comme si ce qui se passait à l’est de l’Europe avait sournoisement donné le coup de grâce à l’Europe de l’ouest […], comme si Sarajevo avait poussé Paris hors de l’histoire ». C’est ici, d’ailleurs, que l’on aurait aimé que l’auteur s’explique : ses intuitions s’arrêtent parfois trop brutalement, et l’aigreur ne suffit pas à combler les trous. C’est aussi la limite de ce type de livre, constitué de textes épars, qui auraient gagné à être agencés et approfondis, pour mieux servir des pages souvent singulières, toujours remarquables.

Raphaëlle Dos Santos

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