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La Nuit du 12 un film de Dominik Moll

by Bruno del Puerto

Faux suspense mais thriller implacable

Depuis plus de vingt ans à présent et son Harry, un ami qui vous veut du bien (2000), nous savons que Dominik Moll est le cinéaste qui transcende ses sujets, allant beaucoup plus loin que l’image, voir le sujet lui-même. Son dernier opus en est une hallucinante démonstration. 

La nuit du 12 de Dominik Moll
© Haut et Court

Un carton projeté en liminaire au film nous indique derechef que l’histoire que nous allons voir à l’écran est non seulement inspirée d’un fait divers malheureusement authentique, mais qu’en plus, cette histoire n’a pas de fin car le crime qu’elle évoque n’a pas été élucidé.  Amateur de suspense, passez votre chemin ?  Oh non, surtout pas !  Car le secret pour ne pas dire le génie du réalisateur est de nous faire entrer dans un thriller tout ce qu’il y a de plus poisseux et terrifiant. 

Dans une ville alpine, une jeune fille est retrouvée morte, assassinée, au petit matin. Elle a été brûlée vive.  Yohan, jeune inspecteur de la PJ et Marceau, son coéquipier pas très loin de la retraite, se lancent dans cette enquête. Tout d’abord, prévenir la famille. Yohan s’en charge. Mais voilà, au moment d’annoncer la terrible nouvelle à la maman, Yohan est pris de panique. Devenu muet, il ne peut compter alors que sur un membre de son équipe venu l’appuyer dans sa triste messagerie.  Il ne le sait pas encore, mais ce crime vient de s’enfoncer dans son âme plus qu’il ne le faudrait et surtout qu’il ne le souhaiterait. D’autant que, d’interrogatoires en planques diverses, de fausses pistes en espoirs qui s’écroulent, l’enquête piétine. L’affaire finit par être classée jusqu’à ce qu’un juge décide de la rouvrir avec les moyens adéquats. Peine perdue, nous le savions depuis le début.  Alors, me direz-vous, quel intérêt ? Réponse : Dominik Moll. Celui-ci et son scénariste se servent d’un sujet qui va rapidement devenir secondaire, pour investir le principal. Et il est de taille ! Tout d’abord Yohan. Que se passe-t-il derrière le regard un peu flou et humide de ce jeune inspecteur ? Pourquoi ce crime le hante-t-il à ce point ? Et puis il y a son univers, celui de la Police nationale au travers de la PJ, son manque de moyens et malgré tout cet engagement de tout un chacun à traquer la vérité, quitte à sacrifier sa vie personnelle.  Il y a aussi, et peut-être surtout, cette réflexion latente sur les féminicides. Ces derniers sont toujours à la charge d’hommes pour les résoudre… Dans le cas présent, le rôle du bourreau et celui de la victime prennent des chemins de traverse difficiles à supporter. Certes, la jeune femme semblait volage…

la nuit du 12 Dominik Moll
© Haut et Court

Depuis le premier plan d’Harry…, nous connaissons le goût de Dominik Moll pour le graphisme. Cette fois, il met Yohan sur un vélo, s’abrutissant de nuit, dans un vélodrome. Il tourne de plus en plus vite…sur lui-même, image transcendante de son incapacité à résoudre l’énigme. 

En fait nous tenons-là peut-être et à ce jour le grand film de cet été 2022. D’autant qu’il est aussi la révélation d’un comédien français aperçu mille fois déjà dans des seconds plans : Bastien Bouillon. Le voici suivi pas à pas par une caméra fouillant au plus profond de ses regards. Nous savons à présent que cet acteur a trop attendu pour prendre les premiers rôles qu’il mérite. À ses côtés, Bouli Lanners est un Marceau engagé cachant par ses coups de gueule un homme perdu dans une vie privée en lambeau. Un grand acteur, mais cela nous le savions déjà. Saluons aussi, même pour une courte apparition, l’immense Anouk Grinberg en juge reprenant ce féminicide en main. 

Ce n’est pas une comédie marrante certes (il y en a à l’affiche vous le savez), mais c’est pour le coup du très grand cinéma.

Robert Pénavayre

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