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« Le genou d’Ahed » de Nadav Lapid

by Administrateur

Amis de bons sentiments et d’images d’Épinal, passez votre chemin. L’ovni cinématographique qui joue ces jours-ci à l’American Cosmograph est un chef d’oeuvre. Un vrai. Assourdissant. Dérangeant. Mutilant les idées reçues et les idées tout court. Au sortir de ce film hybride qu’on pourrait croire brouillon ou inabouti, je me sens heureuse qu’un cerveau comme celui de Nadav Lapid existe et ait su entrecroiser  les deux récits englobés du scénario qui illustrent la rage folle et fascinante du cinéaste : la disparition de la liberté et la disparition de la mère. Ce film est un cri. Une fièvre. L’autopsie d’un pays aussi.

Au départ, un sujet issu d’un fait divers de 2017  qui très vite se démultiplie et vrille sur lui-même : Le Genou d’Ahed débute sur l’histoire de cette jeune Palestinienne de 16 ans, Ahed Tamini,  condamnée à huit ans de prison pour avoir giflé un soldat israélien et dont un député israélien avait estimé qu’il aurait fallu lui tirer dessus, au moins dans le genou pour qu’elle soit définitivement punie.

Du bruit, des silences, la voix de Vanessa Paradis, des bouts de corps, des moitiés de sourires. Les images sont fiévreuses et amputées, le film donne par moment le vertige passant sans reprise de souffle de la ville bouillonnante au désert aride et réconciliant. On est happé. Emporté. Par la beauté des personnages, par la profondeur des dialogues, par les mouvements des corps, par la tension sexuelle entre Yahalom et Y, par les plans serrés sur la peau, par les grands angles sur le désert. Scotchée à mon siège, comme je ne l’ai pas été depuis longtemps dans une salle obscure, je suis tétanisée. Car le film n’a rien d’aimable, c’est un cri de douleur lancinant. Un cri de gorge. Presque muet.

Le sujet n’est d’ailleurs pas aisé, voire risqué : la censure et le nationalisme du gouvernement israélien. Et, par delà la rage de l’auteur, une déclaration d’amour à son pays et à sa mère mourante.

La chorégraphie avec les scènes dansées ou les ballets contemporains de Tsahal qui miment la violence du groupe, l’esthétique envoûtante avec les robes improbables de Yahalom et les panoramas incroyables du désert d’Arava et le reste … le reste … tout est dit.

Un film à ne pas rater.

Karine Satragno

Jusqu’au 18 octobre à l’Américan Cosmograph 


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